hanstad1_ SHAMMI MEHRAAFP via Getty Images_India farmer Shammi Mehra/AFP via Getty Images

Le bien-fondé des systèmes de données topographiques libres

SEATTLE – Le mois dernier, un ex-ministre du Zimbabwe a été arrêté pour la vente illégale de lots de terres domaniales. Quelques jours avant, un tribunal malaisien a condamné l’ex-président d’une agence publique d’aménagement du territoire pour des motifs de corruption. Et en janvier, le gouvernement estonien a été dissous à la suite d’une série d’accusations de malversations dans des transactions immobilières. Ces récents événements ont attiré les regards sur la menace méconnue, mais grandissante de la corruption dans le domaine immobilier.

Une telle corruption peut sévir dans les pays qui ne sont pas prêts à gérer la demande foncière accrue qui accompagne la croissance de l’économie et de la population. Le cadre de gestion publique du territoire dans ces pays — les institutions, les politiques, les règles et les registres pour la gestion les droits de propriété et d’exploitation — est déficient, ce qui compromet la sécurité des titres fonciers des citoyens et facilite des spoliations foncières clandestines par ceux qui ont des relations avec des gens haut placés.

Ainsi, au Ghana, l’État ne tient un registre foncier que pour 2 % environ des exploitations agricoles ; la propriété des autres est essentiellement non officialisée. En Inde, ces registres étaient, jusqu’à récemment, conservés la plupart du temps dans des dossiers non classés d’officines gouvernementales.

Dans ces circonstances, la corruption devient relativement aisée et lucrative. Après tout, lorsque la tenue de registres n’existe pas ou est aléatoire, qui peut déterminer avec certitude qui est le propriétaire légitime d’un lopin de terre ? Comme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et Transparency International l’annonçaient il y a une décennie dans un rapport, « là où la gestion publique des terres est déficiente, la corruption se trouve à un degré très avancé ». Elle « est omniprésente et aucune mesure concrète ne l’empêche de sévir ».

Dans le monde entier, une personne sur cinq déclare avoir payé un pot-de-vin pour accéder aux prestations de services relatives au registre foncier. En Afrique, deux personnes sur cinq estiment que les puissants paient fort probablement des pots-de-vin ou ont recours à leurs relations pour mettre la main sur des terres. L’incertitude planant au-dessus des titres fonciers peut également nuire à la sécurité du logement — environ un milliard de personnes dans le monde confient qu’elles craignent d’être chassées de leur foyer au cours des cinq prochaines années.

Forcément, les populations marginalisées et vulnérables en sont les plus affligées, qu’elles soient des veuves chassées de leur foyer par des spéculateurs ou des collectivités entières subissant une expulsion forcée par des promoteurs immobiliers. Les titres fonciers mal définis et la corruption attisent également les conflits entre les communautés, comme au Kenya, où des partis politiques promettent des terres déjà occupées à des partisans dans le but de gagner des votes.

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Mais tous les espoirs sont permis. Le progrès incessant des technologies des informations et des communications offre des perspectives inédites de numérisation des registres fonciers pour en rendre l’accès libre. Cet exercice permettrait de tirer au clair les droits fonciers de centaines de millions de personnes dans le monde et limiterait les occasions de pratiques corrompues.

Les titres fonciers bien établis et maintenus par de puissantes institutions ne font pas que sécuriser le droit à l’habitation, mais améliorent également les perspectives économiques des pays, car les gens gagnent assez en confiance pour investir dans des terres et des entreprises. De plus, les entreprises et les particuliers peuvent utiliser le titre foncier comme garantie pour faciliter l’accès au crédit. Des titres assurés permettent également à l’État d’accroître ses recettes dérivées de la perception des impôts fonciers. Et lorsque la consultation des registres fonciers est facilement accessible, les autorités publiques peuvent être tenues responsables, les droits de propriété et d’exploitation sont plus facilement protégés et le marché foncier devient plus équitable et plus dynamique.

Vu les avantages des registres fonciers numérisés à accès libre, on ne devrait pas s’étonner que la plupart des pays, dont l’Inde, le Bangladesh, le Sri Lanka et l’île Maurice, s’emploient à numériser leur registre foncier ou l’aient récemment fait. D’autres pays cherchant à réduire la corruption et à rendre le développement plus inclusif peuvent suivre quatre recommandations — provenant d’un nouveau rapport par l’agence allemande de développement GIZ et d’un webinaire sur le portail des registres fonciers — pour la documentation, la numérisation et la mise en place de leurs propres registres.

Tout d’abord, les registres fonciers existants doivent être validés et mis à niveau avant la numérisation. La numérisation de documents papier inexacts ou incomplets qui existent dans beaucoup de contextes ne fera que perpétuer le problème.

Les responsables politiques doivent également s’assurer de la participation active des femmes et des groupes défavorisés. Même si un système fonctionnel pour les plus vulnérables le sera aussi pour les gens avec des relations, l’inverse est rarement vrai. Ces groupes défavorisés doivent jouer un rôle actif dans la collecte des données (pour qu’ils s’y fient et qu’ils se les approprient), mais aussi dans la création et l’évolution du système de registre foncier.

D’autre part, pour rendre le processus plus transparent afin de combattre la corruption, il faut que l’accès aux données soit libre de droits par défaut. Les exceptions doivent être clairement justifiées comme étant nécessaires à la protection des populations vulnérables. Et même si cette stratégie pourrait s’avérer risquée, ce sont des risques qui sont gérables, par exemple en ne donnant l’accès aux noms des propriétaires vulnérables qu’aux fonctionnaires d’un certain échelon.

Finalement, les systèmes devraient être adaptés à la fonction et au contexte. Les possibilités techniques actuelles ne devraient pas dicter la configuration des systèmes de registres fonciers à accès libre. Les instances nationales devraient plutôt définir leurs objectifs et priorités et créer un système de registre foncier à accès libre qui comble leurs besoins. Il est également important de reconnaître que le contexte importe — ce qui fonctionne dans un environnement pourrait ne pas fonctionner ailleurs.

Certes, les systèmes de registres fonciers à accès libre ne constituent pas une solution miracle. Ils ne garantissent ni la transparence ni les responsabilités. Mais les autorités gouvernementales progressistes devraient considérer ces systèmes comme des outils essentiels dans le processus d’éradication de la corruption et de la protection des droits fonciers de tous les pans de la société.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

https://prosyn.org/oobg3IDfr