drew63_Kent Nishimura  Los Angeles Times via Getty Images_trump impeachment Kent Nishimura/Los Angeles Times via Getty Images

L’impeachment rendu impossible par l’esprit partisan

WASHINGTON, DC – La décision du Sénat américain de ne pas condamner Donald Trump pour incitation aux émeutes qui ont frappé le Capitole le 6 janvier, et qui ont conduit la Chambre des représentants à voter la destitution, soulève la question de savoir si le Congrès américain dispose de moyens efficaces de placer devant ses responsabilités un président qui agit contre la Constitution. Les Pères fondateurs de la nation entendaient empêcher un président de renforcer ses pouvoirs jusqu’à devenir dans les faits un monarque. Sous Trump, le système constitutionnel américain s’est trouvé menacé de mort par un président qui a refusé d’admettre sa défaite à l’élection, et qui est allé jusqu’à instrumentaliser un groupe violent pour s’attaquer physiquement à une branche de pouvoir en principe de niveau égal au pouvoir exécutif.

Les Pères fondateurs de l’Amérique ont fait en sorte qu’une condamnation par le Sénat, synonyme de destitution du président, pour des actes justifiant l’impeachment – pas nécessairement de nature criminelle – soit très difficile à obtenir, nécessitant en effet une majorité de deux tiers. Un président américain, considéraient-ils, ne saurait être destitué en conséquence d’un changement d’humeur au niveau national.

Aucun président américain n’a jamais été destitué via un impeachment à la Chambre suivi d’une condamnation par le Sénat – Richard Nixon a démissionné après avoir entendu des Républicains du Congrès qu’il ne disposait plus d’un soutien suffisant au Sénat pour rester en poste. Chasser un président de ses fonctions revient pour l’essentiel à défaire le vote du peuple. Il est par ailleurs probable que l’intéressé conserve un pouvoir sur un pan au moins de son parti. Ainsi, jusqu’à récemment dans l’histoire des États-Unis, les responsables politiques se montraient extrêmement réticents à ne serait-ce qu’évoquer le sujet de l’impeachment.

Le tournant historique est survenu avec le quasi-impeachment et l’éviction de Nixon en 1973-1974. Lorsqu’ont eu lieu les premières discussions sérieuses autour d’une destitution de Nixon, qui avait licencié plusieurs procureurs généraux afin de limoger le procureur spécial Archibald Cox, beaucoup considéraient cette proposition comme extrême, voire terrifiante. Le sujet était évoqué pour la première fois depuis la quasi-destitution du président Andrew Johnson en 1868. Depuis Nixon, l’idée du recours à cet outil a été évoquée beaucoup plus fréquemment.

Le problème fondamental que présente la procédure d’impeachment, en tant que méthode contraignant un président à rendre des comptes, réside en ce que la clause visée dans la Constitution, écrite en 1787, était conçue pour un paysage politique différent de celui que les États-Unis ont connu pendant la majeure partie de leur histoire. À l’époque, les partis politiques n’existaient pas réellement dans le pays. Les Pères fondateurs redoutaient en effet les « factions », ou partis, qui se sont développés à mesure que progressait le débat sur le rôle approprié du gouvernement fédéral.

Dans son discours de fin de mandat, George Washington mettait en garde contre les « effets néfastes de l’esprit partisan ». Cet esprit, avertissait-il, trouve « ses racines dans les passions les plus fortes de l’esprit humain ». De même, l’essai de James Madison intitulé Federalist Paper No. 10 témoigne d’une Constitution rédigée dans un esprit d’opposition aux partis politiques.

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Parmi les raisons de douter de l’efficacité de l’impeachment et de la condamnation, en tant qu’outil permettant de démettre de ses fonctions un président (en tous les cas républicain), rappelons que dans la mesure où chaque État dispose de deux sénateurs, les petits États à la population généralement rurale et conservatrice jouissent d’un pouvoir disproportionné par rapport à leur taille. Pour autant, la différence majeure entre les procédures d’impeachment intentées contre Nixon, avec à l’époque un consensus bipartisan, et contre Trump dernièrement, résulte principalement de changements profonds dans le Parti républicain.

Les Républicains de l’ère Nixon étaient beaucoup plus centristes et moins vindicatifs que les trumpistes actuels. Si Nixon conservait la loyauté des membres du Parti républicains, ce n’était pas en menaçant de limogeage tous ceux qui approuvaient sa destitution. C’est la crainte d’une future opposition qui a conduit les hauts responsables républicains à se rendre à la Maison-Blanche pour expliquer à Nixon qu’il ne disposait pas du soutien politique suffisant à la Chambre et au Sénat pour espérer conserver son poste – ces responsables évitant ainsi d’avoir à voter sur cette question.

En annonçant qu’elle voterait l’impeachment de Trump, la représentante Liz Cheney, conservatrice convaincue (et fille de l’ancien vice-président Dick Cheney), a déclaré : « Jamais un président des États-Unis n’avait autant trahi sa fonction et son serment de préservation de la Constitution ». La parlementaire a condamné le discours incendiaire formulé pendant des semaines par Trump pour agiter la droite radicale, le président sortant prétendant faussement que l’élection lui avait été volée, puis invitant un groupe violent à se rendre au Capitole précisément au moment où les bulletins du Collège électoral étaient dépouillés, tout en les encourageant à « ne rien lâcher ».

Résultat, Liz Cheney a été censurée par le Parti républicain du Wyoming, et sa position en troisième ligne des Républicains de la Chambre a été remise en question dans le caucus du parti.

Jamie Raskin, procureur de la Chambre aux côtés de ses huit collègues, a fourni un travail remarquable dans la constitution du dossier contre Trump. Raskin est également professeur de droit constitutionnel, et c’est pourquoi, lorsque je lui ai parlé samedi soir après l’achèvement de l’audience au Sénat, je lui ai demandé si, compte tenu des différences majeures de contexte entre l’époque de rédaction de la Constitution et l’époque actuelle, et compte tenu du poids disproportionné des petits États au Sénat, il avait envisagé qu’une majorité de deux tiers serait possible à l’appui d’une condamnation de Trump. Raskin m’a répondu : « J’ai toujours pensé qu’il serait plus facile d’obtenir 100 votes que 67. Lorsque nous avons présenté le dossier, je pensais que le camp Trump lâcherait son leader ».

Raskin a poursuivi : « Mais certains de nos collègues du Parti républicain semblent avoir plongé encore plus profondément dans les abîmes. Nous sommes arrivés à un stade de l’histoire auquel un parti autrefois très respectable se comporte aujourd’hui comme une secte. Les faits, la logique et l’État de droit semblent avoir été exclus de l’équation ». Raskin explique cela par le fait que « leur leader exerce un contrôle psychologique, financier et politique sur ses partisans. Il a assemblé un trésor de guerre qui inspire la peur parmi les Républicains ».

Et Raskin de conclure : « Le système des partis politiques a pris le pas sur le système parlementaire. Ce ne sont plus deux branches qui gouvernent le Congrès désormais, mais deux partis, dont l’un a perdu la raison et le bon sens ».

Ainsi, bien que Trump ait échappé à une condamnation par le Congrès, pour avoir incité un groupe violent à s’attaquer au Capitole américain, il faut s’attendre à l’histoire lui fasse rendre des comptes.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

https://prosyn.org/QZbGD4Kfr