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Comment réparer la douche ?

NEW-YORK – Imaginez que vous alliez sous la douche, mais qu'il n'y ait pas d'eau quand vous ouvrez le robinet. Vous appelez alors un plombier qui vous dit qu'il y a des fuites dans les tuyaux et qu'il va vous en coûter 1000 dollars. Pour vous en tirer à moindre coût, allez-vous lui demander à la place d'augmenter la pression de l'eau ?

La réponse est Oui pour la Réserve fédérale américaine. C'est exactement la logique qui sous-tend le renouvellement de sa politique de relâchement monétaire QE2 (quantitative easing) destinée à maintenir le flux de dollars dans les tuyaux financiers en attendant que le crédit circule à nouveau dans les tuyaux des banques vers les entreprises.

Mais de même qu'il y a peu de chance que cela marche pour votre douche, il n'y a guère de raison de croire que cela va marcher dans le domaine des crédits commerciaux. Les mécanismes de crédit transmission, que ce soit aux USA ou ailleurs, fonctionnent très mal depuis 2007. Aux USA, les petites et moyennes entreprises dépendent de banques de petite taille ou de taille moyenne pour obtenir un crédit, ce qui est d'importance vitale pour elles. Pourtant un trop grand nombre de ces banques ne sont que des fantômes de banque, incapables de faire un prêt, parce qu'elles traînent le boulet des prêts immobiliers et commerciaux à haut risque datant des années de boom économique.

Le plan américain de rachat des actifs toxiques (TARP) aurait pu être l'occasion de contraindre les banques à se débarrasser de ces actifs – autrement dit à réparer les tuyaux du crédit. A la place, elles ont simplement dû d'accepter des fonds propres de l'Etat, ce qu'elles considèrent comme politiquement dangereux. Elles ont donc voulu avant tout rembourser le plus tôt possible l'aide qu'elles avaient obtenue, au lieu de l'utiliser pour recommencer à faire des prêts.

Le résultat ? Bien que la Fed ait ramené le taux des prêts à court terme pratiquement à zéro, la plupart des banques prêtent seulement sur la base de collatéraux plus importants et à des taux d'intérêt plus élevés qu'avant la crise. L'Amérique continue sur la voie de la réparation la moins chère : augmenter la pression dans les tuyaux et attendre de voir ce qui va se passer.

Ne vous y trompez pas : il va se passer quelque chose, mais pas nécessairement ce que l'on attend. Il est déjà arrivé que les liquidités supposées relancer les prêts bancaires américains passent dans des fissures pour surgir dans des marchés aussi variés que ceux des produits agricoles, des métaux ou celui de la dette des pays pauvres.

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Le coté étonnant de la chose, c'est que quelques-uns des partisans les plus connus du QE2 pensent que s'il apparaît une nouvelle demande, quelle qu'elle soit, c'est parfait. Pour les fidèles de Keynes, seule la "demande agrégée" compte. A leurs yeux il est idiot de s'inquiéter de la composition de cette demande, cela ne fait que compliquer les choses.

Paul Krugman, le prix Nobel d'économie qui critique la Fed pour ne pas ouvrir plus largement les écluses monétaires, a montré il y a presque dix ans l'absurdité d'une approche brutalement keynésienne. Il écrivait en août 2001 que "la cause principale du ralentissement actuel est l'effondrement de l'investissement des entreprises." Mais pour "relancer l'économie", ajoutait-il, "la Fed n'a pas besoin de réactiver l'investissement des entreprises, n'importe quelle augmentation de la demande convient". Notamment "l'immobilier, particulièrement sensible aux taux d'intérêt, pourrait favoriser un redémarrage."

Un an plus tard, la Fed n'ayant pas à ses yeux réagi assez agressivement, Krugman estimait qu'il  "faut une hausse des dépenses des ménages pour compenser la baisse des investissements des entreprises. Et pour cela, elle doit créer une bulle de l'immobilier pour remplacer la bulle du Nasdaq". Souhait exaucé…

Mais ni aux USA ni ailleurs on ne peut se permettre une rechute. Le monde extérieur qui compte sur le dollar comme principal véhicule commercial et par conséquent comme constitutif des réserves, ne va pas regarder passivement les dollars continuer à se déverser sur leurs marchés des devises, des matières premières et des actifs, sans en voir clairement la fin.

L'Europe, l'Allemagne en particulier, a critiqué avec virulence la politique américaine consistant à placer la banque centrale au cour de sa stratégie de relance. Pourtant la zone euro fait de même.

Examinons le tour de passe-passe du plan de sauvetage destiné à l'Irlande. L'agence nationale de gestion d'actifs irlandais (NAMA) a été établie en 2009 pour rééquilibrer les comptes des banques irlandaises. Mais elle le fait en distribuant aux banques des IOU (engagements remboursables à vue)  – pas des euros – crées récemment d'un coup de baguette magique, en échange de dettes douteuses. Les banques s'en débarrassent auprès de la BCE (la Banque centrale européenne) contre des euros.

Comme la NAMA échange les IOU contre les dettes de banque à la moitié de leur valeur nominale, cette transaction à trois niveaux peut se traduire par une perte de capital d'un euro pour chaque euro que les banques obtiennent de la BCE. Par ailleurs, les IOU que la BCE a acquis peuvent eux-mêmes perdre de la valeur, ce qui présente un risque pour le bilan de la BCE elle-même.

Quelle est la logique de ce manège absurde ? Les banques allemandes détiennent au moins 48 milliards d'euros en dette de banques irlandaises, les banques britanniques en détiennent 31 milliards et les banques françaises 19 milliards. Depuis juin 2008, les banques allemandes, britanniques et françaises ont retiré 253 milliards de prêt des banques et d'autres emprunteurs irlandais – 70% du total des fonds étrangers a été retiré. Les autorités de ces pays essayent maintenant de protéger leurs banques en faisant semblant de s'inquiéter des difficultés de leur voisin irlandais.

Pendant des décennies, les USA et l'Europe ont fait la leçon au reste du monde quant à l'importance de rétablir une situation saine après une crise financière, notamment en remettant de l'ordre dans les banques fantômes. Le moment est venu pour nous de suivre nos propres prescriptions et de remettre de l'ordre dans notre système bancaire. Compter à la place sur les banques centrales pour remettre à flot les économies américaine et européenne constitue une abdication de responsabilité qui va nous coûter cher.

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