JOHANNESBOURG – Imaginez qu’une crise survienne chez vous, sur votre lieu de travail ou dans votre commune. Vous n’en êtes pas plus responsable que vous n’en tirez un quelconque avantage. Vous en supportez pourtant les conséquences, alors que ceux qui en sont la cause et à qui elle a profité continuent d’aggraver le problème. Cette injustice flagrante n’est que trop réelle en Afrique.
Alors que l’Afrique ne contribue annuellement qu’à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle est l’une des régions les plus sensibles au réchauffement et aux variations du climat. Les perturbations et les crises afférentes y fragilisent d’ores et déjà gravement le bien-être des populations et le développement économique, mais c’est le stress hydrique, proprement dit, qui lui fait courir les plus grands périls.
Le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé que le réchauffement de la planète accélère le cycle de l’eau et en renforce les conséquences. Le changement climatique va non seulement continuer d’alimenter précipitations et inondations, mais aussi provoquer, en maints endroits, des sécheresses plus fréquentes et plus rudes, réduisant conséquemment l’accès à l’eau potable dans une région du monde où les pénuries quotidiennes touchent déjà une personne sur trois. La faim, la malnutrition et même la famine se profilent.
On peut déjà imputer au changement climatique une première famine. Après la pire sécheresse qu’ait connue Madagascar depuis quarante ans, la grande île a plongé dans une crise alimentaire qui a laissé 1,3 million de personnes souffrir de la famine et mis en danger de mort des dizaines de milliers d’entre elles. Mais la détresse de la population malgache n’a guère retenu l’attention des médias internationaux.
Madagascar n’est pas un cas isolé. Dans la Corne de l’Afrique, la sécheresse détruit les cultures et le bétail au Kenya, en Somalie et en Éthiopie. Lorsque leurs besoins élémentaires ne peuvent être satisfaits, les populations sont poussées à migrer, en quête de meilleures conditions de vie ; ces mouvements aggravent l’insécurité économique et politique tout en restreignant les chances d’un avenir prospère. En Angola, par exemple, une sécheresse persistante a contraint des milliers de personnes à chercher refuge vers le sud, en Namibie.
Ceux qui ont le moins bénéficié des activités qui sont à l’origine du changement climatique pourraient ainsi perdre leurs maisons, leur santé et leurs moyens de subsistance, tandis que ceux qui en portent la plus grande responsabilité n’ont toujours pas fourni, tant s’en faut, les financements qui permettraient à l’Afrique de s’adapter. En 2009, les pays riches s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards à l’horizon 2020 pour aider les pays en développement dans leur lutte contre le changement climatique. Mais ils sont loin d’avoir tenu leurs engagements, et la plupart des fonds alloués ont servi, plutôt qu’à mettre en place des politiques d’adaptation, à tempérer les effets de l’évolution du climat. Si les gouvernements africains estimaient leurs besoins dans ce domaine à 7,4 milliards de dollars par an à l’horizon 2020, le continent a reçu chaque année, entre 2014 et 2018, moins de 5,5 milliards de dollars (soit 5 dollars environ par personne), et les dépenses d’adaptation n’ont été financées qu’à hauteur de 16,5 milliards de dollars, à peine la moitié du total des fonds consacrés à pallier les dommages subis.
At a time of escalating global turmoil, there is an urgent need for incisive, informed analysis of the issues and questions driving the news – just what PS has always provided.
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Les besoins de financement de l’Afrique sont désormais beaucoup plus importants – et en rapide augmentation. Le Rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’adaptation au changement climatique, publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement, estime le coût de l’adaptation dans les pays en développement à quelque 70 milliards de dollars annuels, une somme qui pourrait atteindre, en 2030, 140 à 300 milliards de dollars et, en 2050, 280 à 500 milliards de dollars.
La Conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s’est tenue à Glasgow en novembre dernier a donné à l’Afrique quelques raisons d’espérer, puisque les économies développées se sont engagées à doubler au minimum, d’ici 2025, leur contribution collective au financement de l’adaptation dans les pays en développement par rapport aux niveaux de 2019. Pourtant, même si ces engagements sont respectés – ce qui n’est rien moins que certain – il faudra faire davantage pour assurer la sécurité hydrique en Afrique.
La Banque africaine de développement (BAD) estime que 64 milliards de dollars seront nécessaires chaque année pour répondre aux besoins en eau du continent. Pour l’heure, les investissements annuels dans les infrastructures hydriques en Afrique ne se montent qu’à 10 milliards de dollars – 19 milliards, dans les estimations les plus optimistes.
Afin de combler cet écart, les dirigeants de l’Union africaine (UA) ont adopté l’an dernier le Programme continental d’investissement dans le secteur de l’eau en Afrique (Continental Africa Water Investment Programme – AIP), dont l’objectif est d’accélérer les investissements dans des infrastructures hydriques régionales, transfrontalières et nationales résilientes au climat, telles que barrages, systèmes d’irrigation ou systèmes d’information sur la gestion de l’eau et les réseaux d’assainissement. D’ici 2030, l’AIP devrait être en mesure de mobiliser quelque 30 milliards de dollars d’investissements dans ces domaines, et de contribuer à la création d’au moins cinq millions d’emplois.
En outre, le Conseil des ministres africains chargés de l’eau a réuni un groupe de haut niveau sur les investissements, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’UNICEF, l’Agence de développement de l’Union africaine, la Banque africaine de développement, le Centre mondial pour l’adaptation et le Partenariat mondial pour l’eau (Global Water Partnership – GWP). Lors de sa réunion inaugurale en septembre dernier, le groupe a convenu d’une feuille de route qui prévoit de mobiliser des financements internationaux pour résoudre les problèmes hydriques et d’accélérer les initiatives tournées vers les objectifs de développement durable des Nations unies.
L'initiative WASH (Water, Sanitation, and Hygiene), menée par la Communauté de développement de l’Afrique australe avec le soutien du GWP, soutient par ailleurs la réalisation des objectifs vitaux dépendant des questions liées à l’eau. Ainsi, en installant des dispositifs de lavage des mains aux postes frontières dans la région, elle contribuera à restreindre la diffusion des maladies infectieuses, facilitant l’activité et les échanges interrégionaux et, contribuant, in fine, à la construction de la zone de libre-échange continentale africaine.
La réussite de tous ces projets dépend largement, cependant, des financements. C’est pourquoi les pays africains et leurs partenaires internationaux ont créé la Water Investment Scorecard, qui s’appuie sur l’analyse des données pour évaluer les progrès, et maintenir la pression sur les décideurs.
Si l’Afrique n’est pas responsable de la crise climatique, les dirigeants africains n’en adoptent pas moins des stratégies de développement originales pour l’affronter, notamment pour réduire ses conséquences sur la sécurité hydrique et sur la qualité des réseaux d’assainissement du continent. On peut se demander si les pays qui sont à l’origine des changements climatiques traduiront leurs paroles en actes, et au premier chef en investissements, avant qu’il ne soit trop tard.
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With German voters clearly demanding comprehensive change, the far right has been capitalizing on the public's discontent and benefiting from broader global political trends. If the country's democratic parties cannot deliver, they may soon find that they are no longer the mainstream.
explains why the outcome may decide whether the political “firewall” against the far right can hold.
The Russian and (now) American vision of "peace" in Ukraine would be no peace at all. The immediate task for Europe is not only to navigate Donald’s Trump unilateral pursuit of a settlement, but also to ensure that any deal does not increase the likelihood of an even wider war.
sees a Korea-style armistice with security guarantees as the only viable option in Ukraine.
Rather than engage in lengthy discussions to pry concessions from Russia, US President Donald Trump seems committed to giving the Kremlin whatever it wants to end the Ukraine war. But rewarding the aggressor and punishing the victim would amount to setting the stage for the next war.
warns that by punishing the victim, the US is setting up Europe for another war.
Within his first month back in the White House, Donald Trump has upended US foreign policy and launched an all-out assault on the country’s constitutional order. With US institutions bowing or buckling as the administration takes executive power to unprecedented extremes, the establishment of an authoritarian regime cannot be ruled out.
The rapid advance of AI might create the illusion that we have created a form of algorithmic intelligence capable of understanding us as deeply as we understand one another. But these systems will always lack the essential qualities of human intelligence.
explains why even cutting-edge innovations are not immune to the world’s inherent unpredictability.
JOHANNESBOURG – Imaginez qu’une crise survienne chez vous, sur votre lieu de travail ou dans votre commune. Vous n’en êtes pas plus responsable que vous n’en tirez un quelconque avantage. Vous en supportez pourtant les conséquences, alors que ceux qui en sont la cause et à qui elle a profité continuent d’aggraver le problème. Cette injustice flagrante n’est que trop réelle en Afrique.
Alors que l’Afrique ne contribue annuellement qu’à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle est l’une des régions les plus sensibles au réchauffement et aux variations du climat. Les perturbations et les crises afférentes y fragilisent d’ores et déjà gravement le bien-être des populations et le développement économique, mais c’est le stress hydrique, proprement dit, qui lui fait courir les plus grands périls.
Le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a confirmé que le réchauffement de la planète accélère le cycle de l’eau et en renforce les conséquences. Le changement climatique va non seulement continuer d’alimenter précipitations et inondations, mais aussi provoquer, en maints endroits, des sécheresses plus fréquentes et plus rudes, réduisant conséquemment l’accès à l’eau potable dans une région du monde où les pénuries quotidiennes touchent déjà une personne sur trois. La faim, la malnutrition et même la famine se profilent.
On peut déjà imputer au changement climatique une première famine. Après la pire sécheresse qu’ait connue Madagascar depuis quarante ans, la grande île a plongé dans une crise alimentaire qui a laissé 1,3 million de personnes souffrir de la famine et mis en danger de mort des dizaines de milliers d’entre elles. Mais la détresse de la population malgache n’a guère retenu l’attention des médias internationaux.
Madagascar n’est pas un cas isolé. Dans la Corne de l’Afrique, la sécheresse détruit les cultures et le bétail au Kenya, en Somalie et en Éthiopie. Lorsque leurs besoins élémentaires ne peuvent être satisfaits, les populations sont poussées à migrer, en quête de meilleures conditions de vie ; ces mouvements aggravent l’insécurité économique et politique tout en restreignant les chances d’un avenir prospère. En Angola, par exemple, une sécheresse persistante a contraint des milliers de personnes à chercher refuge vers le sud, en Namibie.
Ceux qui ont le moins bénéficié des activités qui sont à l’origine du changement climatique pourraient ainsi perdre leurs maisons, leur santé et leurs moyens de subsistance, tandis que ceux qui en portent la plus grande responsabilité n’ont toujours pas fourni, tant s’en faut, les financements qui permettraient à l’Afrique de s’adapter. En 2009, les pays riches s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards à l’horizon 2020 pour aider les pays en développement dans leur lutte contre le changement climatique. Mais ils sont loin d’avoir tenu leurs engagements, et la plupart des fonds alloués ont servi, plutôt qu’à mettre en place des politiques d’adaptation, à tempérer les effets de l’évolution du climat. Si les gouvernements africains estimaient leurs besoins dans ce domaine à 7,4 milliards de dollars par an à l’horizon 2020, le continent a reçu chaque année, entre 2014 et 2018, moins de 5,5 milliards de dollars (soit 5 dollars environ par personne), et les dépenses d’adaptation n’ont été financées qu’à hauteur de 16,5 milliards de dollars, à peine la moitié du total des fonds consacrés à pallier les dommages subis.
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Les besoins de financement de l’Afrique sont désormais beaucoup plus importants – et en rapide augmentation. Le Rapport 2021 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’adaptation au changement climatique, publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement, estime le coût de l’adaptation dans les pays en développement à quelque 70 milliards de dollars annuels, une somme qui pourrait atteindre, en 2030, 140 à 300 milliards de dollars et, en 2050, 280 à 500 milliards de dollars.
La Conférence des Nations unies sur le changement climatique qui s’est tenue à Glasgow en novembre dernier a donné à l’Afrique quelques raisons d’espérer, puisque les économies développées se sont engagées à doubler au minimum, d’ici 2025, leur contribution collective au financement de l’adaptation dans les pays en développement par rapport aux niveaux de 2019. Pourtant, même si ces engagements sont respectés – ce qui n’est rien moins que certain – il faudra faire davantage pour assurer la sécurité hydrique en Afrique.
La Banque africaine de développement (BAD) estime que 64 milliards de dollars seront nécessaires chaque année pour répondre aux besoins en eau du continent. Pour l’heure, les investissements annuels dans les infrastructures hydriques en Afrique ne se montent qu’à 10 milliards de dollars – 19 milliards, dans les estimations les plus optimistes.
Afin de combler cet écart, les dirigeants de l’Union africaine (UA) ont adopté l’an dernier le Programme continental d’investissement dans le secteur de l’eau en Afrique (Continental Africa Water Investment Programme – AIP), dont l’objectif est d’accélérer les investissements dans des infrastructures hydriques régionales, transfrontalières et nationales résilientes au climat, telles que barrages, systèmes d’irrigation ou systèmes d’information sur la gestion de l’eau et les réseaux d’assainissement. D’ici 2030, l’AIP devrait être en mesure de mobiliser quelque 30 milliards de dollars d’investissements dans ces domaines, et de contribuer à la création d’au moins cinq millions d’emplois.
En outre, le Conseil des ministres africains chargés de l’eau a réuni un groupe de haut niveau sur les investissements, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’UNICEF, l’Agence de développement de l’Union africaine, la Banque africaine de développement, le Centre mondial pour l’adaptation et le Partenariat mondial pour l’eau (Global Water Partnership – GWP). Lors de sa réunion inaugurale en septembre dernier, le groupe a convenu d’une feuille de route qui prévoit de mobiliser des financements internationaux pour résoudre les problèmes hydriques et d’accélérer les initiatives tournées vers les objectifs de développement durable des Nations unies.
L'initiative WASH (Water, Sanitation, and Hygiene), menée par la Communauté de développement de l’Afrique australe avec le soutien du GWP, soutient par ailleurs la réalisation des objectifs vitaux dépendant des questions liées à l’eau. Ainsi, en installant des dispositifs de lavage des mains aux postes frontières dans la région, elle contribuera à restreindre la diffusion des maladies infectieuses, facilitant l’activité et les échanges interrégionaux et, contribuant, in fine, à la construction de la zone de libre-échange continentale africaine.
La réussite de tous ces projets dépend largement, cependant, des financements. C’est pourquoi les pays africains et leurs partenaires internationaux ont créé la Water Investment Scorecard, qui s’appuie sur l’analyse des données pour évaluer les progrès, et maintenir la pression sur les décideurs.
Si l’Afrique n’est pas responsable de la crise climatique, les dirigeants africains n’en adoptent pas moins des stratégies de développement originales pour l’affronter, notamment pour réduire ses conséquences sur la sécurité hydrique et sur la qualité des réseaux d’assainissement du continent. On peut se demander si les pays qui sont à l’origine des changements climatiques traduiront leurs paroles en actes, et au premier chef en investissements, avant qu’il ne soit trop tard.
Traduit de l’anglais par François Boisivon