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Comment remettre en ordre un système de contrôle aérien malade aux États-Unis

CAMBRIDGE (MASS.) – Le trafic aérien est en train, finalement, de retrouver ses niveaux d’avant la pandémie et la période des fêtes de fin d’année risque d’être un pur chaos. De nombreux passagers vont être confrontés à des retards ahurissants, et plus nombreux encore seront ceux et celles qui devront supporter des vols inutilement longs. Mais le plus inquiétant, c’est que quelques-uns pourraient se trouver, conscients ou non, dans des situations de collisions évitées de justesse au décollage, à l’atterrissage ou sur les pistes des aéroports.

Certes, les États-Unis peuvent s’enorgueillir d’un bilan exceptionnel pour ce qui concerne la sécurité de l’aviation civile, puisqu’aucun accident mortel n’est à déplorer depuis 2009. Mais le nombre d’accidents évités de peu dans les aéroports américains s’est accru depuis la pandémie de Covid-19 : l’an dernier, quelque 300 situations de collision ont été rapportées.

Cette hausse brutale des situations dangereuses peut être attribuée, pour partie, à un manque de contrôleurs aériens qualifiés, qui a mis sous pressions le système de contrôle (air-traffic control – ATC) aux États-Unis. Selon l’association nationale des contrôleurs aériens, l’effectif total des contrôleurs a été réduit de 1 000 postes par rapport à l’effectif en place voici dix ans, malgré l’augmentation du trafic. Aujourd’hui, les États-Unis souffrent d’une pénurie de quelque 3 000 contrôleurs aériens, comme l’a admis le secrétaire aux transports, Pete Buttigieg.

En conséquence de quoi les contrôleurs aériens travaillent souvent plus longtemps qu’ils ne le devraient, et la semaine de six jours est devenue la norme. Les équipements dépassés de l’ATC ajoutent encore au problème d’une fatigue généralisée. Malgré les progrès réalisés dans les domaines de l’informatique et des télécommunications par satellites, les contrôleurs continuent de dépendre de radars au sol et de systèmes analogiques de radiocommunication qui datent des années 1950. Il est choquant de voir certains contrôleurs utiliser encore de nos jours des bandes de papier pour suivre la trace des avions. Évidemment, ces dysfonctionnements coûtent cher et les conditions de vol s’en ressentent également.

En outre, le système de contrôle, géré par l’administration fédérale de l’aviation (FAA), qui est aussi l’agence responsable des règles de sécurité et de leur application, souffre d’un financement instable et d’un flou dans sa programmation pluriannuelle. C’est toute l’organisation dans le long terme du trafic aérien qui s’en trouve handicapée. Les investissements indispensables au renouvellement des équipements, au recrutement et à la formation des contrôleurs ne se font pas. La FAA forme à peine un nombre de contrôleurs suffisant pour remplacer ceux qui partent à la retraite, fixée à 56 ans, ou choisissent de partir en retraite anticipée. À un tel rythme, l’agence ne peut surmonter l’actuelle pénurie d’effectifs, sans parler de répondre au développement du trafic aérien dans le long terme.

Il faut trois ans pour former de nouveaux contrôleurs aériens. La FAA doit par conséquent augmenter sans tarder le nombre de ses stagiaires, afin de parvenir dans un délai acceptable à des niveaux normaux d’effectifs. Mais les incertitudes concernant le budget de l’agence constituent une difficulté considérable. Au congrès, les élus républicains, dans leurs efforts pour réduire le déficit budgétaire sans toucher aux dépenses de défense, menacent régulièrement de couper les dotations. Ainsi la fermeture des services non essentiels de l’administration fédérale, en 2018-2019 a-t-elle entraîné celle du centre de formation de la FAA à Oklahoma City, et consécutivement empêché l’engagement de nouveaux contrôleurs. Un nouveau shutdown, en février, pourrait prolonger jusque dans les années 2030 l’actuelle pénurie de personnels qualifiés.

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Mais le problème va bien au-delà du financement. L’allocation disproportionnée des ressources limitées du système de contrôle aérien aux jets privés et à l’aviation d’affaires au détriment des vols commerciaux est aussi responsable de la congestion des aéroports, du retard et des annulations de vols et des collisions évitées de justesse.

Il existe une solution, soutenue par de nombreux experts, à la crise de l’aviation civile aux États-Unis, qui reprendrait la stratégie adoptée par le Canada, et qui fonctionne bien : transférer la responsabilité du contrôle aérien de la FAA à une société sans but lucratif et financer celle-ci par les taxes des usagers. C’est le modèle de l’« utilité publique ». Dès lors que les usagers, et non plus le Congrès, financeraient l’organisation, il deviendrait possible d’engager une nouvelle génération de contrôleurs et d’investir dans des technologies avancées.

S’il pourrait apparaître risqué à certains de confier à une société privée une fonction aussi essentielle, leurs craintes seraient toutefois erronées. La FAA continuerait de superviser et de garantir la sécurité du contrôle aérien, tout comme elle réglemente la sécurité des lignes exploitées par les compagnies commerciales et des avions mis en service par les constructeurs commerciaux. En réalité, le compromis actuel, qui voit la FAA jouer à la fois le rôle de l’opérateur et celui du régulateur, traduit un conflit d’intérêts – du type de ceux que l’Organisation internationale de l’aviation civile enjoint d’éviter aux différents pays. Nombre de pays développés, parmi lesquels l’Australie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande, ont partiellement ou totalement privatisé leur contrôle aérien, avec des résultats positifs significatifs.

Des propositions similaires de privatisation du contrôle aérien aux États-Unis sont depuis longtemps soutenues par des experts indépendants, qui vont des libertariens de la ReasonFoundation et du CatoInstitute au prix Nobel d’économie Joseph E. Stiglitz et à Dorothy Robyn, qui travailla dans l’administration du président Bill Clinton et s’efforça vainement, dans les années 1990, de confier le contrôle aérien à un opérateur privé. Elaine Chao, ancienne secrétaire aux transports lors du mandat du président Donald Trump a également plaidé pour une telle réforme de l’ATC.

Pourquoi, dès lors, ces propositions ne sont-elles pas mises en œuvre ? L’une des réponses tient au pouvoir politique qu’exercent les propriétaires de jets privés. Ce groupe restreint mais puissant dispose de ses propres lobbyistes, qui s’attachent à perpétuer un accès bon marché aux aéroports.

Les difficultés financières que connaît aujourd’hui le système d’ATC seraient déjà moindres si les propriétaires de jets privés payaient une juste part des taxes. Le système est en effet lourdement biaisé en faveur des petits jets privés, aux dépens des passagers stressés des gros vols commerciaux, contraints de payer une part substantielle des taxes et autres frais. Alors qu’ils ne représentent qu’un sixième des vols contrôlés par la FAA, la flotte de jets privés, par ailleurs en augmentation rapide, ne contribue qu’à hauteur de 2 % aux recettes dont l’agence a besoin pour fonctionner. La manne a été estimée à un milliard de dollars par an.

Le système d’ATC devrait être incité à donner la priorité aux vols commerciaux, qui répondent mieux aux besoins de la majorité des passagers, sur les intérêts du lobby des jets privés. C’est aux citoyens, et non aux lobbyistes avec leurs contributions aux campagnes électorales, que devrait rendre des comptes un système de contrôle aérien privatisé, qui obligerait les propriétaires de jets privés à payer leur juste part. La fréquence des décollages et des atterrissages diminuerait automatiquement, et avec elle la congestion des aéroports et la charge de travail des contrôleurs aériens.

Si les responsables politiques et les spécialistes sont parfaitement conscients du rôle joué à Washington par des groupes d’intérêts restreints mais puissants, les voyageurs ne comprennent pas toujours comment ces pressions contribuent à rallonger les vols, à les retarder, à les annuler et à créer des situations de collision. Si les électeurs comprenaient mieux les tenants et les aboutissants, le Congrès trouverait peut-être des raisons d’agir.

Traduit de l’anglais par François Boisivon

https://prosyn.org/gY4OQu2fr