WASHINGTON – La visite du président Biden en Arabie saoudite est très controversée. Après avoir adopté une position de principe ferme contre le Royaume au début de son mandat, il se montre aujourd'hui beaucoup plus conciliant. Ce revirement a attisé les critiques, il est pourtant bienvenu.
Lors de la campagne présidentielle de 2020, Biden avait qualifié l'Arabie saoudite d'Etat "paria". Une fois au pouvoir, il a mis à l'écart le dirigeant de fait du Royaume, le prince Mohammed ben Salman (surnommé MBS). L'année dernière, l'administration américaine a publié un rapport des services de renseignement faisant porter à MBS la responsabilité de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Mais la flambée des prix de l'énergie et l'inflation galopante et la frustration populaire qu'elles ont suscitée ont modifié les calculs de Biden. Désormais, son administration veut désespérément que l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis augmentent leur production de pétrole. Or cela suppose de renouer des liens avec MBS.
Pourtant, contrairement à ce que disent les critiques, ce n'est pas le signe affligeant d'une supposée faiblesse américaine. Au contraire, Biden adopte enfin une stratégie américaine éprouvée. En ce qui concerne le Moyen-Orient, l'acceptation du statu quo s'est pratiquement toujours avérée la meilleure option pour les USA. Leurs pressions et les mesures interventionnistes de leur part ont parfois impressionné sur le moment, avant d'engendrer rapidement instabilité régionale et dédain à leur égard. L'Amérique en sort humiliée.
Rappelons-nous l'expérience du président Eisenhower dans les années 1950. Le prestige des USA était au plus haut dans la région depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour consolider leur position au Moyen-Orient, Eisenhower a exigé que la Grande-Bretagne, la France et Israël se retirent du sol égyptien après la crise de Suez en 1956. Mais deux ans plus tard, l'adhésion suscitée par sa politique a été rapidement mise à mal après l'intervention de l'armée américaine au Liban pour stabiliser le gouvernement fragilisé de ce pays.
Ronald Reagan a été victime du même scénario destructeur. Il a d'abord cherché à projeter son armée au Moyen-Orient en envoyant des troupes au Liban en 1983 pour maîtriser une guerre civile. Mais il a brusquement retiré les forces américaines après deux attentats meurtriers qui ont fait 258 morts dans leurs rangs. Les acteurs régionaux n'ont pas été impressionnés. Cette superpuissance supposée, l'Amérique, s'avérait incapable de résoudre un conflit dans un pays plus petit que le Connecticut et comptant moins d'habitants que le Kansas.
Don’t miss our next event, taking place at the AI Action Summit in Paris. Register now, and watch live on February 10 as leading thinkers consider what effective AI governance demands.
Register Now
Dans les années 1990 et 2000, l'Irak est devenu le principal catalyseur des troubles au Moyen-Orient. Lorsque les forces du président irakien Saddam Hussein ont envahi le Koweït en 1990, George H.W. Bush a lancé un assaut aérien de 38 jours (diffusé en direct sur CNN) suivi d'une guerre terrestre de 100 heures. L'armée irakienne a été écrasée et le Koweït libéré. Les USA avaient regagné l'admiration des acteurs régionaux, tout en suscitant leur crainte. A titre d'exemple, la Syrie a renoncé à résister et a rejoint un processus de paix parrainé par les USA après avoir affronté leurs forces au Liban en 1983.
Le prestige des USA a été de courte durée. Contrairement à ce qu'ils souhaitaient, Saddam Hussein n'a pas cédé le pouvoir ; ils ont alors acherché à contenir et isoler l'Irak. Plutôt favorables à la réintégration d'Hussein dans l'ordre arabe, les alliés régionaux des USA tels que les Emirats arabes unis se sont opposés à cette politique. Un fossé s'est creusé.
Le même scénario s'est reproduit dans les années 2000. Une invasion américaine rapide ordonnée par un autre Bush, George W. Bush, a renversé Saddam Hussein, laissant ses adversaires stupéfaits. Peu après, le dirigeant libyen Kadhafi a accepté l'hégémonie régionale américaine en renonçant à ses armes de destruction massive et en s'engageant dans la campagne contre l'extrémisme islamique.
Mas une fois encore, la chute de l'Amérique a été rapide. L'insurrection irakienne a enlisé l'armée américaine. Les diplomates américains ne sont parvenus ni à réconcilier des inimitiés tenaces, ni à résoudre des conflits internes. L'Irak s'est transformé en un satellite de l'Iran, alors que les USA avaient tenté d'y semer les graines de la démocratie.
La puissance des USA était à nouveau en déclin. Même leurs alliés les plus fidèles se sont mis à les défier. Ainsi le dirigeant égyptien Hosni Moubarak a refusé de se rendre aux USA pendant six ans. La Syrie, à nouveau un adversaire, a cherché à déstabiliser les gouvernements soutenus par les USA (Irak, Liban et territoires palestiniens).
Dans ce contexte, les USA ont cherché avant tout à maintenir la stabilité : ils ont conservé de bonnes relations avec des gouvernements autoritaires (de l'Egypte aux pays du Golfe) qui bafouent les droits fondamentaux de leur population.
L'Arabie saoudite et les Emirats ne sont pas satisfaits de la politique iranienne des USA, en particulier de leur réponse timide aux attaques menées sur leur territoire par les rebelles Houthis du Yémen soutenus par l'Iran. Mais, tout comme Biden n'a guère d'autre choix que d'amadouer les autorités saoudiennes et émiraties n'ont guère d'autre choix que d'accepter l'hégémonie régionale américaine. Ceci est d'autant plus vrai que la Chine et la Russie qui s'opposent aux sanctions internationales contre l'Iran à l'ONU ne protégeront pas ces Etats pétroliers relativement fragiles contre les mollahs.
De son coté, l'Égypte est passée dans la zone d'influence russe. Mais si elle veut avoir un quelconque espoir de rester dans la course aux armements avec Israël, il n'y a pas de substitut aux armes américaines. Le corps des officiers de l'armée égyptienne garde un souvenir amer du traitement réservé à leurs prédécesseurs par les conseillers soviétiques déployés après la guerre de 1967. Selon un général égyptien, ils étaient brusques, durs et souvent arrogants.
De même, bien qu'elle soit le premier investisseur et le premier créancier de l'Ethiopie, la Chine ne peut résoudre le conflit concernant l'approvisionnement en eau entre ce pays et l'Egypte. Seuls les USA, avec leur long passé de résolution des conflits, de respect de leurs obligations et leurs moyens financiers apparemment sans limite, peuvent faire cela.
En 2018, après l'assassinat de Khashoggi, je disais qu'en dépit du désir de voir l'Arabie saoudite respecter les mêmes normes que les autres alliés proches des USA, ce sont très probablement les intérêts communs et la dépendance mutuelle qui vont l'emporter. La visite de Biden en Arabie saoudite montre qu'il a abouti à la même conclusion.
To have unlimited access to our content including in-depth commentaries, book reviews, exclusive interviews, PS OnPoint and PS The Big Picture, please subscribe
While "globalization" typically conjures images of long-distance trade and migration, the concept also encompasses health, the climate, and other forms of international interdependence. The perverse irony is that an anti-globalist America may end up limiting the beneficial forms while amplifying the harmful ones.
worries that we will end up with only harmful long-distance dependencies, rather than beneficial ones.
Though Donald Trump attracted more support than ever from working-class voters in the 2024 US presidential election, he has long embraced an agenda that benefits the wealthiest Americans above all. During his second term, however, Trump seems committed not just to serving America’s ultra-rich, but to letting them wield state power themselves.
Given the United Kingdom’s poor investment performance over the past 30 years, any government would need time and luck to turn things around. For so many critics and commentators to trash the current government’s growth agenda before it has even been launched is counterproductive, if not dangerous.
sees promise in the current government’s economic-policy plan despite its imperfections.
WASHINGTON – La visite du président Biden en Arabie saoudite est très controversée. Après avoir adopté une position de principe ferme contre le Royaume au début de son mandat, il se montre aujourd'hui beaucoup plus conciliant. Ce revirement a attisé les critiques, il est pourtant bienvenu.
Lors de la campagne présidentielle de 2020, Biden avait qualifié l'Arabie saoudite d'Etat "paria". Une fois au pouvoir, il a mis à l'écart le dirigeant de fait du Royaume, le prince Mohammed ben Salman (surnommé MBS). L'année dernière, l'administration américaine a publié un rapport des services de renseignement faisant porter à MBS la responsabilité de l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Mais la flambée des prix de l'énergie et l'inflation galopante et la frustration populaire qu'elles ont suscitée ont modifié les calculs de Biden. Désormais, son administration veut désespérément que l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis augmentent leur production de pétrole. Or cela suppose de renouer des liens avec MBS.
Pourtant, contrairement à ce que disent les critiques, ce n'est pas le signe affligeant d'une supposée faiblesse américaine. Au contraire, Biden adopte enfin une stratégie américaine éprouvée. En ce qui concerne le Moyen-Orient, l'acceptation du statu quo s'est pratiquement toujours avérée la meilleure option pour les USA. Leurs pressions et les mesures interventionnistes de leur part ont parfois impressionné sur le moment, avant d'engendrer rapidement instabilité régionale et dédain à leur égard. L'Amérique en sort humiliée.
Rappelons-nous l'expérience du président Eisenhower dans les années 1950. Le prestige des USA était au plus haut dans la région depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour consolider leur position au Moyen-Orient, Eisenhower a exigé que la Grande-Bretagne, la France et Israël se retirent du sol égyptien après la crise de Suez en 1956. Mais deux ans plus tard, l'adhésion suscitée par sa politique a été rapidement mise à mal après l'intervention de l'armée américaine au Liban pour stabiliser le gouvernement fragilisé de ce pays.
Ronald Reagan a été victime du même scénario destructeur. Il a d'abord cherché à projeter son armée au Moyen-Orient en envoyant des troupes au Liban en 1983 pour maîtriser une guerre civile. Mais il a brusquement retiré les forces américaines après deux attentats meurtriers qui ont fait 258 morts dans leurs rangs. Les acteurs régionaux n'ont pas été impressionnés. Cette superpuissance supposée, l'Amérique, s'avérait incapable de résoudre un conflit dans un pays plus petit que le Connecticut et comptant moins d'habitants que le Kansas.
PS Events: AI Action Summit 2025
Don’t miss our next event, taking place at the AI Action Summit in Paris. Register now, and watch live on February 10 as leading thinkers consider what effective AI governance demands.
Register Now
Dans les années 1990 et 2000, l'Irak est devenu le principal catalyseur des troubles au Moyen-Orient. Lorsque les forces du président irakien Saddam Hussein ont envahi le Koweït en 1990, George H.W. Bush a lancé un assaut aérien de 38 jours (diffusé en direct sur CNN) suivi d'une guerre terrestre de 100 heures. L'armée irakienne a été écrasée et le Koweït libéré. Les USA avaient regagné l'admiration des acteurs régionaux, tout en suscitant leur crainte. A titre d'exemple, la Syrie a renoncé à résister et a rejoint un processus de paix parrainé par les USA après avoir affronté leurs forces au Liban en 1983.
Le prestige des USA a été de courte durée. Contrairement à ce qu'ils souhaitaient, Saddam Hussein n'a pas cédé le pouvoir ; ils ont alors acherché à contenir et isoler l'Irak. Plutôt favorables à la réintégration d'Hussein dans l'ordre arabe, les alliés régionaux des USA tels que les Emirats arabes unis se sont opposés à cette politique. Un fossé s'est creusé.
Le même scénario s'est reproduit dans les années 2000. Une invasion américaine rapide ordonnée par un autre Bush, George W. Bush, a renversé Saddam Hussein, laissant ses adversaires stupéfaits. Peu après, le dirigeant libyen Kadhafi a accepté l'hégémonie régionale américaine en renonçant à ses armes de destruction massive et en s'engageant dans la campagne contre l'extrémisme islamique.
Mas une fois encore, la chute de l'Amérique a été rapide. L'insurrection irakienne a enlisé l'armée américaine. Les diplomates américains ne sont parvenus ni à réconcilier des inimitiés tenaces, ni à résoudre des conflits internes. L'Irak s'est transformé en un satellite de l'Iran, alors que les USA avaient tenté d'y semer les graines de la démocratie.
La puissance des USA était à nouveau en déclin. Même leurs alliés les plus fidèles se sont mis à les défier. Ainsi le dirigeant égyptien Hosni Moubarak a refusé de se rendre aux USA pendant six ans. La Syrie, à nouveau un adversaire, a cherché à déstabiliser les gouvernements soutenus par les USA (Irak, Liban et territoires palestiniens).
Dans ce contexte, les USA ont cherché avant tout à maintenir la stabilité : ils ont conservé de bonnes relations avec des gouvernements autoritaires (de l'Egypte aux pays du Golfe) qui bafouent les droits fondamentaux de leur population.
L'Arabie saoudite et les Emirats ne sont pas satisfaits de la politique iranienne des USA, en particulier de leur réponse timide aux attaques menées sur leur territoire par les rebelles Houthis du Yémen soutenus par l'Iran. Mais, tout comme Biden n'a guère d'autre choix que d'amadouer les autorités saoudiennes et émiraties n'ont guère d'autre choix que d'accepter l'hégémonie régionale américaine. Ceci est d'autant plus vrai que la Chine et la Russie qui s'opposent aux sanctions internationales contre l'Iran à l'ONU ne protégeront pas ces Etats pétroliers relativement fragiles contre les mollahs.
De son coté, l'Égypte est passée dans la zone d'influence russe. Mais si elle veut avoir un quelconque espoir de rester dans la course aux armements avec Israël, il n'y a pas de substitut aux armes américaines. Le corps des officiers de l'armée égyptienne garde un souvenir amer du traitement réservé à leurs prédécesseurs par les conseillers soviétiques déployés après la guerre de 1967. Selon un général égyptien, ils étaient brusques, durs et souvent arrogants.
De même, bien qu'elle soit le premier investisseur et le premier créancier de l'Ethiopie, la Chine ne peut résoudre le conflit concernant l'approvisionnement en eau entre ce pays et l'Egypte. Seuls les USA, avec leur long passé de résolution des conflits, de respect de leurs obligations et leurs moyens financiers apparemment sans limite, peuvent faire cela.
En 2018, après l'assassinat de Khashoggi, je disais qu'en dépit du désir de voir l'Arabie saoudite respecter les mêmes normes que les autres alliés proches des USA, ce sont très probablement les intérêts communs et la dépendance mutuelle qui vont l'emporter. La visite de Biden en Arabie saoudite montre qu'il a abouti à la même conclusion.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz