Refugee children from Syria Oxfam International/Flickr

Un plan européen face à la crise des réfugiés

ROME – La crise des réfugiés à laquelle est confrontée l’Europe n’aurait jamais dû se transformer en une telle urgence. L’accueil d’un million de demandeurs d’asile ne devrait pas constituer un défi aussi colossal pour l’Union européenne, elle qui abrite 500 millions de citoyens et ouvre ses portes à quelque trois millions d’immigrants chaque année. Seulement voilà, l’absence de réaction coordonnée est venue changer un problème gérable en une crise politique majeure – susceptible d’anéantir l’Union européenne, comme s’en est inquiétée à juste titre la chancelière allemande Angela Merkel.

La plupart des États membres de l’UE privilégient égoïstement leurs propres intérêts. Ceci les conduit à se dresser les uns contre les autres, et aboutit à une véritable panique, laquelle fait peser encore davantage de périls sur les réfugiés. La mise en place d’un plan global permettrait d’apaiser les peurs. L’Europe préfère néanmoins désigner des boucs émissaires – comme peut en témoigner dernièrement la Grèce.

Le pays a en effet été accusé de ne fournir aucun effort dans la gestion et l’hébergement des réfugiés. Or, même si la Grèce n’était pas affectée par la crise économique, il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’un si petit pays supporte à lui seul la charge – d’autant qu’il est prévu que plus de 800 000 réfugiés traversent son territoire cette année. Il s’agit d’une problématique européenne, mondiale, et pas seulement d’un problème grec.

Toutes sortes de reproches peuvent être formulés. En Grèce, l’Open Society Foundations de George Soros, en partenariat avec l’Espace économique européen et le fonds Norway Grants, avait anticipé les difficultés qu’engendrerait l’absence de politique européenne sérieuse en matière de droit d’asile. En 2013, ce partenariat a créé l’organisation Solidarity Now, dirigée par les plus grands acteurs de la société civile grecque. Solidarity Now a aujourd’hui besoin de seulement 62 millions € pour s’occuper de 15 000 des 50 000 réfugiés qui devront être hébergés en Grèce l’an prochain. Or, bien que l’UE ait promis d’apporter 500 millions € pour aider la Grèce à gérer la crise, un certain nombre d’États membres n’honorent pas leur part de contribution.

En plus de soutenir la Grèce, il s’agirait pour l’UE d’élaborer un plan global de gestion sécurisée et ordonnée des arrivées de demandeurs d’asile. Ceci signifierait opérer au-delà des frontières de l’Europe, dans la mesure où, du point de vue des donateurs, il est beaucoup moins perturbant et moins coûteux de maintenir les demandeurs d’asile proches de leur localisation du moment. 

Pour commencer, il incombe à l’UE de s’engager à absorber chaque année au moins 500 000 demandeurs d’asile, tout en travaillant à convaincre le reste du monde d’en accepter un nombre équivalent. Un engagement politique aussi conséquent devrait contribuer à rétablir un certain ordre en Europe. Grâce à un statut clair et à une promesse de sécurité, les demandeurs d’asile pourraient ainsi être amenés à patienter en Turquie ou au sein d’autres pays situés en première ligne, plutôt que de se risquer à une dangereuse traversée de la Méditerranée.

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Deuxièmement, il est nécessaire que des passerelles officielles soient mises en place, tout d’abord en Turquie, puis au Liban, en Jordanie, en Tunisie et au Maroc. Ces États-passerelles, en collaboration étroite avec l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés et l’UE, permettraient l’installation de centres administratifs destinés à l’enregistrement des demandeurs d’asile, ainsi qu’à l’examen de leurs dossiers. Les demandeurs d’asile acceptés pourraient ensuite être placés sur liste d’attente, et contraints de patienter dans leur pays-passerelle jusqu’à ce qu’un État de l’UE consente à les accueillir. Une telle procédure sécurisée et volontaire de vérification concernant les réfugiés contribuerait à apaiser les inquiétudes sécuritaires observées depuis les attentats de Paris.

Il appartiendrait aux États-passerelles d’améliorer leurs normes d’accueil, d’asile et d’intégration, en échange de quoi une aide financière serait apportée à ces pays, qui bénéficieraient également d’autres mécanismes incitatifs, tels qu’un accès facilité à l’UE pour leurs ressortissants. Il est en effet nécessaire que l’UE établisse ou développe des programmes autorisant l’entrée de migrants non demandeurs d’asile.

Troisièmement, un appui politique, financier et technique doit être apporté aux pays en première ligne. La Turquie, le Liban et la Jordanie, qui supportent la majeure partie de la charge liée à cette crise, abritent plus de quatre millions de réfugiés syriens. La Turquie affirme avoir dépensé 7,8 milliards $ pour la prise en charge de plus de deux millions de réfugiés ; à ce jour, elle n’a perçu que 415 millions $ de la part des autres États (l’UE ayant pourtant promis une contribution supplémentaire de 3 milliards €).

Le coût annuel d’une pleine assistance aux réfugiés dans les pays en première ligne est estimé à au moins 20 milliards €. Il s’agirait pour l’UE de s’engager à en financer au moins la moitié, la part restante revenant au reste de la communauté internationale. Il est nécessaire de mettre en place des zones économiques spéciales, qui tirent parti d’un statut commercial privilégié auprès de l’UE et des États-Unis, afin de générer investissements, opportunités économiques et emplois, aussi bien pour les réfugiés que pour les citoyens locaux. Il s’agirait d’établir ces zones à la fois au sein des pays en première ligne et des États de transit.

Quatrièmement, l’UE a besoin d’un système d’asile et de douanes véritablement commun. Le patchwork actuel, qui fait intervenir 28 systèmes d’asile distincts, se révèle coûteux et inefficace, produisant des résultats extrêmement hétérogènes en termes d’accueil, de détermination du statut, et d’intégration des nouveaux arrivants. L’UE aurait tout intérêt à mettre en place une unique douane européenne et agence chargée des demandeurs d’asile et des migrations.

Cinquièmement, il est nécessaire qu’une réponse globale à la crise, coordonnée par l’ONU, accompagne le programme de l’UE. Ceci permettrait de répartir entre de nombreux États la charge de résolution de la crise des réfugiés, tout en contribuant à ériger des normes globales dans l’appréhension du défi que constituent les migrations forcées.

Enfin, pour financer ce plan, l’UE pourrait exploiter sa capacité d’emprunt AAA dans le but d’émettre des obligations à long terme. La charge liée au coût de service de ces obligations pourrait ainsi être attribuée aux États membres en proportion inverse du nombre de demandeurs d’asile que ces États acceptent. Ceux des pays qui parviendraient avec succès à intégrer des réfugiés en tireraient un avantage économique ; l’économie allemande connaît d’ores et déjà une croissance significativement plus rapide depuis sa décision d’accueillir des réfugiés syriens.

L’actuel exode en provenance de Syrie et d’autres pays dévastés par le conflit n’est pas survenu du jour au lendemain ; il était facile à prévoir, et éminemment gérable. Semant la peur, les acteurs xénophobes exploitent actuellement le manque de réponse coordonnée pour colporter une vision contraire aux valeurs sur lesquelles s’est construite l’UE. Si elle se concrétise, cette vision s’inscrira en violation du droit européen ; elle menace d’ores et déjà de diviser voire d’anéantir l’UE. C’est la raison pour laquelle il est d’autant plus urgent que l’UE consolide une stratégie globale afin de mettre un terme à la panique, et de faire cesser les souffrances humaines inutiles.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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