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Les ingrédients d’une récession et crise financière d’ici 2020

NEW YORK – Dix ans après l’effondrement de Lehman Brothers, des interrogations demeurent autour des causes et conséquences de la crise financière, de même que la question de savoir si les leçons qu’il faudra appliquer face à la prochaine crise ont été intégrées. Mais dans une perspective d’avenir, la question la plus pertinente consiste à déterminer ce qui provoquera la récession et la crise mondiale de demain, ainsi que le moment de leur survenance.

L’actuelle expansion mondiale devrait se poursuivre l’année prochaine, dans la mesure où les États-Unis enregistrent d’importants déficits budgétaires, où la Chine applique des politiques budgétaires et de crédit assouplies, et où l’Europe reste sur une trajectoire de reprise. Seulement voilà, d’ici 2020, les conditions tendront vers une crise financière, suivie d’une récession mondiale.

Dix raisons expliquent cela. Premièrement, les politiques de relance budgétaire qui poussent actuellement la croissance annuelle américaine au-dessus de son potentiel de 2 % ne sont pas tenables. D’ici 2020, la relance se sera épuisée, et un freinage fiscal modéré réduira la croissance de 3 % jusque légèrement en dessous de 2 %.

Deuxièmement, le timing de cette relance ayant été inadapté, l’économie américaine connaît actuellement une surchauffe, et l’inflation s’élève au-dessus de la cible. La Réserve fédérale des États-Unis devrait ainsi continuer d’augmenter le taux cible des fonds fédéraux, l’amenant de son niveau actuel de 2 % à 3,5 % au moins d’ici 2020, ce qui élèvera probablement les taux d’intérêts à court et long terme, ainsi que le dollar américain.

Dans le même temps, l’inflation augmente également au sein d’autres économies majeures, tandis que le prix du pétrole contribue à des pressions inflationnistes supplémentaires. Cela signifie que les autres grandes banques centrales suivront la Fed sur la voie d’une normalisation de la politique monétaire, ce qui réduira la liquidité mondiale tout en exerçant une pression à la hausse sur les taux d’intérêt.

Troisièmement, les tensions commerciales opposant l’administration Trump, à la Chine, à l’Europe, au Mexique, au Canada et à d’autres sont vouées à l’escalade, engendrant une croissance plus lente et une inflation plus élevée.

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Quatrièmement, les autres politiques américaines continueront d’alimenter une pression stagflationniste, ce qui conduira la Fed à rehausser encore davantage les taux d’intérêt. L’administration restreint actuellement les investissements entrants/sortants et les transferts technologiques, ce qui perturbera les chaînes d’approvisionnement. Elle limite également le nombre d’immigrants nécessaire pour maintenir la croissance à l’heure du vieillissement de la population américaine. Elle décourage par ailleurs les investissements dans l’économie verte. Enfin, elle ne dispose d’aucune politique infrastructurelle susceptible de remédier aux goulets d’étranglement du côté de l’offre.

Cinquièmement, la croissance dans le reste du monde devrait elle aussi ralentir – d’autant plus que les autres pays jugeront bon de riposter contre le protectionnisme américain. La Chine est contrainte de réduire sa croissance pour gérer son excès de capacité et d’endettement, sans quoi interviendra un atterrissage brutal. Enfin, les marchés émergents d’ores et déjà fragilisés continueront de subir les effets du protectionnisme et des conditions monétaires resserrées aux États-Unis.

Sixièmement, l’Europe connaîtra elle aussi une croissance plus lente, en raison d’un resserrement monétaire et de frictions commerciales. Par ailleurs, les politiques populistes appliquées dans des pays comme l’Italie risquent d’engendrer une dynamique de dette intenable au sein de la zone euro. Le cercle vicieux encore non résolu entre les États et les banques détenant de la dette publique amplifieront les problèmes existentiels caractéristiques d’une union monétaire incomplète, appliquant un partage inadéquat des risques. Dans ces conditions, une nouvelle récession mondiale pourrait conduire l’Italie et d’autres pays à quitter purement et simplement la zone euro.

Septième point, les marchés boursiers américain et mondial sont en effervescence. Les ratios cours/bénéfice aux États-Unis sont supérieurs de 50 % à leur moyenne historique, les valorisations de capitaux privés sont devenues excessives, et les obligations d’État trop coûteuses compte tenu de leur faible rendement et de leurs primes de terme négatives. Le crédit à haut rendement devient également de plus en plus coûteux, à l’heure où le taux d’endettement des entreprises américaines atteint des sommets historiques.

Par ailleurs, l’endettement sur de nombreux marchés émergents et dans certaines économies développées se révèle clairement excessif. L’immobilier commercial et résidentiel est beaucoup trop coûteux dans de nombreuses régions du monde. La correction des marchés émergents en termes de titres, de matières premières et de détention de revenus fixes se poursuivra à mesure que s’épaissiront les nuages d’une tempête planétaire. Enfin, les investisseurs d’avenir commençant à anticiper un ralentissement de croissance d’ici 2020, les marchés refixeront le prix des actifs d’ici 2019.

Huitième explication, une fois cette correction amorcée, le risque d’illiquidité, de ventes en catastrophe et de sous-évaluations se fera plus sérieux. Les activités de tenue de marché et de gestion de portefeuille des courtiers-négociants sont limitées. L’excès d’opérations algorithmiques et à haute fréquence augmenteront la probabilité de « krachs éclairs ». Par ailleurs, les instruments à revenu fixe sont devenus plus concentrés en fonds ouverts cotés en bourse et en fonds de crédit dédiés.

En cas de marché baissier, les secteurs des marchés émergents et des économies développées présentant d’importants passifs libellés en dollar n’auront plus accès à la Fed en tant que prêteur de dernier recours. Avec la hausse de l’inflation et la normalisation des politiques, il ne faudra plus compter sur le filet de sécurité qu’ont assuré les banques centrales dans les années d’après-crise.

Neuvième aspect, Trump attaquait déjà la Fed lorsque le taux de croissance s’est récemment élevé à 4 %. Imaginez son comportement dans le cadre des élections de 2020, lorsque la croissance aura probablement chuté en dessous de 1 %, et lorsque les pertes d’emploi surviendront. Pour Trump, la tentation de « faire diversion » en fomentant une crise de politique étrangère sera forte, notamment si les Démocrates récupèrent la Chambre des représentants cette année.

Trump ayant d’ores et déjà lancé une guerre commerciale contre la Chine, et n’osant guère s’attaquer à une Corée du Nord nucléairement armée, sa cible idéale pourrait être l’Iran. En provoquant une confrontation militaire avec Téhéran, il créerait un choc géopolitique stagflationniste comparable aux pics pétroliers de 1973, 1979 et 1990. Il va sans dire que ceci rendrait la prochaine récession mondiale encore plus sévère.

Enfin, une fois apparue la tempête évoquée, les outils politiques susceptibles d’y remédier manqueront cruellement. La marge de relance budgétaire est d’ores et déjà réduite par une dette publique massive. La possibilité de nouvelles politiques monétaires non conventionnelles sera limitée par des bilans hypertrophiés, et par un manque de capacité à réduire les taux directeurs. Par ailleurs, les sauvetages dans le secteur financier seront intolérables pour des pays marqués par la résurgence de mouvements populistes, et dirigés par des gouvernements quasi-insolvables.

Aux États-Unis en particulier, le législateur a limité la capacité de la Fed à fournir de la liquidité aux institutions financières non bancaires et étrangères présentant des passifs libellés en dollar. En Europe, la montée des partis populistes complique l’adoption de réformes au niveau de l’UE, ainsi que la création des institutions nécessaires pour combattre la prochaine crise financière et récession.

À la différence de 2008, époque à laquelle les gouvernements disposaient des outils politiques permettant d’empêcher une chute libre, les dirigeants politiques qui affronteront la prochaine récession auront les mains liées, sachant par ailleurs que les niveaux globaux de dette sont supérieurs à ceux d’avant-crise. Lorsqu’elles surviendront, la crise et la récession de demain pourraient se révéler encore plus sévères et prolongées que celles d’hier.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

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