laidi32_Xavier LaineGetty Images_french election Xavier Laine/Getty Images

L'élection la plus extraordinaire de l'histoire politique française

PARIS – En convoquant des élections législatives anticipées à la suite de la défaite de son parti aux élections européennes de juin, le président français Emmanuel Macron espérait "clarifier" la situation politique à son profit. Il a manifestement échoué. Les élections n'ont pas permis de dégager une majorité parlementaire, mais seulement d'accroître considérablement la confusion. Avec de nombreux perdants et très peu de gagnants, il s'agit de l'élection la plus extraordinaire de l'histoire moderne du pays.

Parmi les nombreux perdants figure le Rassemblement national (RN), le parti d'extrême droite qui a remporté une victoire décisive aux élections européennes quelques semaines auparavant. Bien que le RN ait augmenté le nombre de ses sièges et soit devenu le plus grand parti de l'Assemblée nationale, il n'a pas obtenu la majorité absolue pour gouverner seul le pays.

Le second tour a en effet été marqué par une puissante mobilisation anti-RN , les électeurs ayant s’étant désistés du centre vers la gauche et de la droite vers le centre. De nombreux Français ont apparemment conclu pendant la campagne que les candidats du RN étaient mal préparés à exercer le pouvoir.

La plupart des experts en étaient venus à penser que l'immunité naturelle du système électoral français contre l'extrême droite ne fonctionnait plus. Mais cette élection l'a démenti. Si l'extrême droite est désormais la première force politique du pays, elle ne peut rien faire sans alliés. Or elle n’en a pas.

Le deuxième perdant est Macron, dont le parti a perdu une centaine de sièges. Avant l'élection, sa formation Ensemble pouvait ancrer une majorité relative. Aujourd'hui, il est éclipsé par le Nouveau Front populaire (NFP) de gauche, qui a remporté le plus grand nombre de sièges.

Institutionnellement Macron peut nommer qui il veut. Mais il sera probablement contraint de nommer un nouveau premier ministre issu de la gauche même s’il manque au NFP une centaine de sièges pour obtenir la majorité absolue.

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En outre, il s'agit d'une coalition fragile   dont les membres sont en désaccord sur de nombreux points et dont le chef de file, Jean-Luc Mélenchon de la France insoumise, n'a qu'un seul objectif : radicaliser le débat public et créer les conditions d'un face-à-face entre lui et Marine Le Pen (RN) lors de l'élection présidentielle de 2027.Il n'est donc pas forcément dans l'intérêt de Mélenchon qu'un gouvernement de gauche (sous une autre figure de proue) réussisse.

Pour que Mélenchon en tire un avantage personnel, il faudrait que le NFP   soit en mesure de mettre en œuvre l'ensemble de son programme électoral, ce qui ne se produira jamais sans une majorité absolue. De plus, le prochain gouvernement - quelle que soit sa forme - devra bientôt répondre à la Commission européenne, qui a récemment lancé une "procédure de déficit excessif" à l'encontre de la France.

Néanmoins, le NFP n’est pas prêt de s'effondrer. Si les socialistes et les Verts ont essuyé de nombreuses critiques pour s'être alliés à Mélenchon en dépit de leurs divergences fondamentales avec lui, l'accord a été payant sur le plan électoral. Sur les 40 sièges supplémentaires gagnés par la gauche, tous sont allés aux socialistes et aux Verts, tandis que la France insoumise n'a pas fait de nouveaux gains. Cela rappelle l'union de la gauche menée par le président français François Mitterrand après son élection en 1981 : en forgeant une alliance avec les communistes, il était mieux placé pour les affaiblir par la suite.

Pour l'avenir, le scénario le plus souhaitable est la formation d'un gouvernement minoritaire et intérimaire   jusqu’à l’année prochaine (le président ne peut pas dissoudre l'Assemblée nationale avant juin 2025).

Mais avec Macron sur la défensive et sans majorité parlementaire, la France se retrouvera en terrain inconnu. Les personnalités politiques joueront un rôle bien plus important que les étiquettes "gauche", "droite" ou "centre". Comme dans tout système politique, certains politiciens français veulent rechercher la stabilité et le compromis, tandis que d'autres recherchent la confrontation en voulant hâter les élections présidentielles.

L'année à venir sera donc marquée par une profonde incertitude politique, ce qui ne clarifiera pas les perspectives économiques de la France. Quoi qu'il en soit, le prochain gouvernement devra se mettre d'accord sur le budget 2025 dans les prochains mois.

Mais la clé sera la réforme du système électoral. Actuellement le scrutin majoritaire à deux tours est adapté à un système politique bipolaire alors que la réalité politique est tripolaire. Compte tenu de la persistance de cette tri polarité malgré un système qui force à la bipolarité, la seule solution est d'introduire la représentation proportionnelle. Chaque   parti mesurera alors sa représentativité de façon proportionnelle et à partir de là peut exprimer des choix ou des préférences avec telle ou telle force. Au sein de la gauche, par exemple, les socialistes n'auraient pas à se lier à la France insoumise pour se faire élire. Ils pourraient former des alliances avec d'autres, comme le parti de Macron, une fois au Parlement. La proportionnelle permet de passer d’une logique d’alliances subies où il faut indiquer dès le premier tour avec qui on va s’allier au second à une logique d’alliance choisies.

La politique fragmentée de la France n'est pas si différente de celle des autres pays européens. Mais sa culture politique et ses institutions sont uniques dans la mesure où elles favorisent la confrontation plutôt que la formation de coalitions. Sauf comme on l’a dit à changer de mode de scrutin.

Sans cela, le RN n'aura qu'à attendre son heure, pour   tôt ou tard   gagner tout seul et sans alliés.

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