L’enjeu des ressources naturelles du Kenya

OXFORD – Le Kenya exporte de l’énergie depuis longtemps – sous la forme de coureurs de fond parmi les plus rapides du monde. Mais le Kenya exportera bientôt une autre forme d’énergie, beaucoup plus rentable, alors que le pays commence à exploiter une série de découvertes récentes de gisements pétroliers dans sa portion de  725 km de long de la vallée du grand rift, une faille dans la croûte terrestre qui s’étend du Liban au Mozambique.

Les pays d’Afrique ont une longue expérience des inconvénients de grandes dotations en ressources. Le Kenya doit tirer les enseignements de ces cas, afin d’éviter que cette nouvelle manne pétrolière ne fasse trébucher l’Afrique orientale dans sa fuite en avant vers l’union monétaire.

Les gisements sont certainement immenses. Dans les deux dernières années, des réserves de plus de 1,7 milliard de barils de pétrole ont été découvertes dans le bassin de Lokichar. Les estimations varient beaucoup, mais le potentiel va jusqu’à 20 milliards de barils – un volume qui ferait du Kenya l’un des pays d’Afrique les plus riches en ressources, juste derrière le Nigeria, qui dispose de 37 milliards de barils de réserves confirmées. Un pays voisin, l’Ouganda a découvert 3,5 milliards de barils et en Tanzanie de vastes réserves de gaz naturel ont aussi été découvertes.

Ces pays doivent maintenant trouver le moyen de ne pas subir le « fléau de l’abondance » en ressources naturelles – un mal par trop répandu où la hausse des revenus des ressources amplifie les fluctuations. Elle favorise aussi la recherche de rentes de situation et la corruption. Mais surtout, elle stimule la valeur réelle de la monnaie, ce qui fait monter le niveau global des salaires et rend les autres secteurs économiques moins concurrentiels. La clé sera de protéger les rentes pétrolières et de les investir judicieusement, en convertissant des actifs du sous-sol dans des actifs en surface qui génèrent un rendement adéquat et stimulent le développement économique.

En Afrique, le pétrole est en général extrait par des sociétés étrangères de sorte que des taxes bien dosées sont nécessaires pour s’assurer que les pays obtiennent une juste part des bénéfices. L’imposition des bénéfices semble en théorie une bonne chose, mais elle encourage aussi les producteurs de pétrole à simplement transférer leurs bénéfices vers des paradis fiscaux. Les redevances, qui s’appliquent à chaque baril produit, sont des moyens plus sûrs de générer des revenus pour le pays. Il est notoire que les cours du pétrole sont très instables, le régime de taxation doit donc faire en sorte que le gouvernement et les sociétés pétrolières partagent les inconvénients, mais aussi les avantages de la fluctuation des cours.

Le prochain défi du Kenya sera d’investir les recettes pétrolières dans des projets d’infrastructures dont le besoin est criant, notamment les routes, les installations sanitaires, les hôpitaux et les écoles. Les pays à haut revenu comme la Norvège peuvent contracter des emprunts pour le financement de ce genre de projets, leur permettant de conserver leur patrimoine pétrolier dans un fonds souverain. Au Kenya, en revanche, emprunter est onéreux. Le pétrole offre donc un jalon important pour établir les assises d’une croissance et d’un développement économique à long terme.

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Bien sûr, comme au marathon, il est préférable de ne pas commencer la course à une allure trop rapide. Les nouveaux enseignants doivent être formés par des maîtres d’expérience et les nouvelles routes doivent rejoindre des routes existantes. Il faut donc investir petit à petit, ce qui signifie peut-être qu’une partie de la manne pétrolière devra être placée à l’étranger.

Tout au long de ce processus, les décideurs du Kenya doivent garder à l’esprit que même les meilleurs des plans peuvent parfois dérailler, comme l’expérience récente du Ghana tend à le démontrer. En 2007, quatre milliards de barils de pétrole ont été découverts au large du littoral du Ghana et la production a été lancée en 2010. L’année suivante, la loi portant sur l’administration des revenus du pétrole répartissait la richesse entre la consommation, l’investissement et des placements à l’étranger, comme des économistes de partout dans le monde entier l’ont recommandé (les auteurs y compris).

Or, à la suite de l’élection présidentielle de l’an dernier, la situation a commencé à se détériorer. La poursuite des  votes a fini par hausser le déficit de la balance des paiements du Ghana, en raison des  subventions importantes à la consommation de carburant et d’une augmentation de 47 % dans les prestations de ses fonctionnaires. Ce scénario est un classique des pays en développement qui connaissent un boom pétrolier.

Certains développements sont néanmoins positifs pour le Ghana. Malgré l’envolée des dépenses de l’État, les interventions de la banque centrale pour stabiliser l’inflation ont maîtrisé les prix des biens et services. L’objectif de stabilité des prix – la norme dans les pays développés comme l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni – est plutôt rare en Afrique. En fait, c’est un des éléments qui manque au  Kenya.

Le maintien de la stabilité des prix est sur le point de devenir plus important que jamais. Ce dernier mois, les dirigeants des pays membres de la communauté de l’Afrique de l’Est devraient entériner le processus de création d’une union monétaire, couvrant une population de 150 millions, et ce, dès 2015. Les stocks pétroliers nouvellement découverts du Kenya compliqueront ces projets, étant donné les entrées massives de capitaux qui créeront des pressions inflationnistes au Kenya plus élevées que chez ses voisins. Si la banque centrale de l’Afrique de l’Est monte le taux d’intérêt pour contrer l’inflation au Kenya, le reste de l’union connaîtra un chômage plus élevé.

La crise actuelle de la zone euro démontre clairement les problèmes auxquels fait face une union monétaire de partenaires inégaux. Un peu comme si un sportif de salon sans entraînement se mettait à courir le 800 mètres contre le détenteur du record mondial.

Le Kenya et la Communauté d’Afrique de l’Est visent l’union monétaire depuis l’an 2000. Mais la découverte récente de gigantesques gisements de ressources naturelles au Kenya et ailleurs obligera les responsables politiques à repenser cet objectif. Les banques centrales ont besoin d’une marge de manœuvre pour adapter la politique monétaire à l’évolution rapide des structures économiques et pour réparer les dégâts économiques que le processus électoral laisse sur son passage.

John Maynard Keynes aurait déjà déclaré que : « Lorsque les faits changent, je change d’avis ». Au Kenya et en Afrique de l’Est, la réalité a changé; il est grand temps que les politiques des décideurs s’y adaptent.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

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