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Non à la mainmise des multinationales sur l'alimentation

NEW DELHI – Contrairement à la sombre prédiction faite en 1798 par le célèbre économiste britannique Malthus, la Terre produit aujourd'hui largement de quoi nourrir une population 10 fois plus importante qu'à son époque. Le défi que soulève l'alimentation ne tient pas à un manque en valeur absolue, mais au caractère inégal de sa distribution et au caractère irrationnel de sa consommation. C'est ainsi que la malnutrition frappe aux deux extrémités du spectre : les victimes de sous-nutrition meurent ou souffrent de déficits cognitifs, tandis que d'autres sont frappés d'obésité, ce qui diminue leur espérance de vie et augmente leur morbidité.

Cela tient essentiellement au mode de production et de distribution moderne. La production alimentaire, même à un échelon modeste, repose de plus en plus sur les techniques agricoles développées par les grandes entreprises. Un peu partout, la nourriture est de moins en moins saine et en raison d'une publicité agressive et de l'offre de produits hors-saison ou de provenance lointaine, sa consommation n'a pas de caractère durable.

Le problème est clair, mais on ne fait pas grand chose pour y remédier. L'autosatisfaction de longue date du secteur agroalimentaire s'est transformée en orgueil démesuré. A l'image de ce que l'on voit dans l'économie numérique, ce sont quelques grosses entreprises, les Big Food, qui dominent le secteur au niveau mondial, et les responsables politiques soutiennent l'idée que seule l'agriculture industrielle peut nourrir toute la planète et répondre à une demande croissante.

Ce dogme a conduit à une monoculture envahissante et au recours excessif aux produits chimiques dans la production alimentaire. Ces pratiques nuisent à l'environnement, altèrent la qualité des sols, augmentent la vulnérabilité des récoltes face aux risques naturels et aux insectes nuisibles, menacent la qualité de vie des agriculteurs et conduisent à des aliments dangereux pour la santé. L'agriculture industrielle favorise aussi une consommation malsaine, au point que l'on trouve parfois obésité et sous-nutrition au sein d'une même famille.

Le défi consiste à développer une production alimentaire durable et à adopter une alimentation plus saine. Cette solution peut sembler futile, tant les consommateurs sont habitués à la nourriture bon marché de l'industrie alimentaire. Pourtant il y a bien des raisons de se révolter contre les Big Food.

Ainsi que Timothy Wise, chercheur au Small Planet Institute et à l'université de Tufts l'écrit dans son nouveau livre, « le mythe selon lequel "nous" nourrissons "le monde" est le summum de l'arrogance du premier monde ». Les fermes industrielles et les multinationales de l'agroalimentaire dans les pays du Nord ne produisent qu'une petite partie de la nourriture au niveau mondial, dont 70% provient de millions de petits paysans, notamment dans les pays en développement.

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Or selon Wise, beaucoup de ces paysans disposent déjà des outils nécessaires pour pratiquer une agriculture "verte", mais il faudrait qu'on les autorise à les utiliser. Il n'est pas besoin d'une nouvelle révolution technologique dans l'agriculture pour produire une nourriture profitable pour les producteurs et durable pour eux comme pour les consommateurs.

Le mythe le plus répandu que Wise fait éclater est sans doute celui selon lequel les petits paysans sont ignorants et sont moins efficaces que les producteurs à grande échelle ou les cultivateurs qui travaillent sous contrat pour l'industrie agroalimentaire. Conséquence de la puissance politique et économique des Big Food, c'est devenu une évidence pour nombre de politiciens, alors qu'il existe de nombreux exemples de petits agriculteurs qui réussissent avec leurs propres méthodes.

Ainsi au Malawi, la politique agricole, pourtant bien intentionnée, s'est soldée par des échecs. Il y a une dizaine d'années, le Malawi voulait augmenter sa production de maïs en distribuant aux petits producteurs des coupons pour acheter semences et engrais. Au début le rendement a augmenté de manière spectaculaire, et l'on a parlé du Miracle du Malawi (les multinationales qui vendent des semences ou des engrais en ont aussi bénéficié). Mais ce succès a encouragé la monoculture du maïs, ce qui à la longue a acidifié les sols et diminué leur rendement. Les agriculteurs ont alors dû acheter davantage de semence et d'engrais pour simplement maintenir leur rendement et il semble que la sous-nutrition dans les campagnes n'ait guère diminué.

Un groupe de petits producteurs a alors décidé d'agir. Ils ont commencé à cultiver une variété de maïs améliorée localement, de meilleure qualité nutritive. De ce fait, ils n'ont plus besoin d'acheter des graines de maïs aux multinationales, ils mélangent ce maïs avec d'autres cultures et ils peuvent diminuer leur consommation d'engrais.

Ailleurs aussi, les petits paysans font preuve de leur savoir-faire. En Inde, au Kerala, des villageois donnent un renouveau à la riziculture et des groupes de femmes se sont lancés avec succès dans l'agriculture bio dans le cadre de Kudumbashree, un programme de lutte contre la pauvreté et d'encouragement à l'autonomie des femmes. Au Mexique, de petits paysans jouent un rôle crucial pour préserver l'indispensable biodiversité - ce que reconnaît le nouveau gouvernement mexicain. En Chine, l'Etat donne une formation spécifique aux paysans et les organise en coopératives dans le cadre d'un projet à grande échelle destiné à promouvoir une agriculture durable.

La réponse au problème alimentaire actuel de la planète est simple, il faut diminuer la mainmise des grandes entreprises sur la production, la distribution et la consommation et aider les petits paysans à produire durablement. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Les Big Food sont suffisamment puissantes pour empêcher cette révolution.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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