PARIS – La dernière conférence ministérielle de l’OMC a fait fiasco. Malgré un ordre du jour relativement limité, les participants n’ont guère été en mesure de produire un communiqué commun. Mais alors que, la commissaire européenne au Commerce exprimait son vif mécontentement le représentant américain ne cachait guère sa satisfaction car tout affaiblissement de l’OMC est bon à prendre. Quant à la Chine, elle n'était pas forcément déçue du résultat m^me si comme souvent elle laisse volontiers à l’Inde le soin de monter en première ligne pour s'en prendre aux Occidentaux. Ces réactions en disent assez long sur les divergences d’intérêts qui existent aujourd’hui au sein de l’OMC. Une situation préoccupante pour l’Europe qui sur le commerce comme pour le reste risque une fois de plus de se trouver prise en tenailles entre une Amérique chaotique et nationaliste et une Chine déterminée mais tout aussi nationaliste.
A priori, la nouvelle donne commerciale mondiale marquée par le protectionnisme offensif de Trump laisse le champ libre à l’Europe pour assumer une forme de leadership multilatéral. De fait, la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon va clairement permettre à l’agriculture européenne de marquer des points au détriment des États-Unis qui n’ont pas d’accord équivalent avec Tokyo. Certains à Bruxelles pensent donc qu’en multipliant des accords de libre-échange avec des partenaires commerciaux importants, l’Europe pourrait faire avancer ses intérêts au détriment de son rival américain. D’autres vont encore plus loin. Ils estiment que le vibrant plaidoyer de Monsieur Xi à Davos en faveur du multilatéralisme ouvre la voie à une forme de partenariat euro chinois pour contrer Trump. Mais ce raisonnement nous semble bien léger...
Certes, sur le plan tactique l’Europe peut tirer profit des choix brutaux et maladroits de Trump. Mais il serait illusoire de croire qu’elle en tirera un bénéfice stratégique. Car si Washington n’a plus forcément les moyens d’organiser le système commercial multilatéral à son seul avantage, il dispose malheureusement des ressources pour le détruire. Et cela ne peut que inquiéter l’Europe même si elle reste la première puissance commerciale mondiale. Une récente étude a d’ailleurs à montré que depuis 2008 la croissance des exportations de l’union européenne avait fortement pâti des obstacles mis en place par la Chine.
En effet, l’Europe n’est pas un Etat. Ce n’est donc pas un acteur capable de négocier gains stratégiques ou politiques contre concessions commerciales par exemple. Trump peut dire à la Chine que si elle fait des efforts sur la Corée il pourra différer certaines rétorsions commerciales. L’Europe ne le peut pas car personne ne peut parler en Europe d’une seule voix sur le plan stratégique. On ne saurait donc exclure que les Chinois qui parlent couramment le langage de la realpolitik préfèreront prioritairement satisfaire les États-Unis sur une base ad hoc que l’Europe sur des bases multilatérales. C’est au demeurant un des calculs que fait Trump.
En second lieu, quand bien même les Européens partagent la quasi-totalité des griefs américains sur la Chine (octroi de subventions d’État aux entreprises privées, opacité des sociétés d’État, non-respect des droits de la propriété ou des règles d’accès au marché) ils n’ont pas la même façon de gérer le problème chinois. Les Européens pensent que les règles de l’OMC contiennent des zones grises dont les Chinois tirent aujourd’hui profit. Ils veulent donc pouvoir négocier de nouvelles règles avec eux soit dans le cadre d’un accord d’investissement bilatéral soit dans le cadre d’un accord pluriannuel sur les marchés publics. Trump ne veut pas de nouvelles règles. Il veut couler le système, non le réformer. Il veut des résultats concrets destinés à montrer qu’il peut réduire le déficit commercial et cela indépendamment des moyens utilisés pour y parvenir. La grande différence entre Trump et son prédécesseur réside d’ailleurs là. Obama avait exprimé des griefs tout à fait comparables à ceux de Trump aujourd’hui. Mais à sa différence il voulait peser sur la Chine en l’encerclant en quelque sorte grâce à un dispositif réglementaire mondial : le TPP avec l’Asie et leTTIP avec l’Europe. C’était d’ailleurs tout le sens du projet de traité transatlantique qui visait au fond à établir une forme de convergence réglementaire euro-américaine. Elle aurait permis aux États-Unis comme à l’union européenne de définir des standards communs de la nouvelle économie opposables à la Chine. Malheureusement ce projet a buté sur une double précipitation qui lui a été fatale. Celle de l’administration Obama qui voulait absolument arracher cet accord aux Européens avant la fin de son mandat. Celle ensuite de certains Européens, mais pas de la France, qui pensaient non sans raison qu’un accord avec les États-Unis ne pourrait intervenir qu’avant les nouvelles élections américaines. Le résultat est que cette précipitation a fait naître un certain nombre d’inquiétudes notamment en Europe quant au respect de règles environnementales et sanitaires. Il y a eu le sentiment que l’on cherchait à tout prix à parvenir à un accord alors que nous savons que la convergence réglementaire entre les États-Unis et l’Europe prendra une bonne dizaine d’années pour aboutir. Un jour ou l’autre il faudra donc reprendre le travail de convergence entre les États-Unis et l’union européenne face à la Chine car leurs intérêts sont convergents. Mais Trump voit les choses d’une tout autre façon. Il veut imposer à Pékin un nouveau rapport de force non sur la base non du multilatéralisme mais sur celle de la stricte réciprocité bilatérale.
Quant à l’idée d’une alliance possible entre les Européens et les Chinois face à Trump elle paraît bien difficile. Certes, Européens et Chinois se montrent favorables à la globalisation et au multilatéralisme. Mais il faut quand même bien voir que la Chine est favorable au multilatéralisme commercial sous réserve de ne rien changer. Or il est bien évident que l’Europe ne saurait se satisfaire de cette situation. À la différence de Trump elle tient absolument au multilatéralisme. Mais à celle de la Chine elle refuse le statu quo. Elle plaide pour un multilatéralisme offensif qui ne serait ni le multilatéralisme de statu quo défendu par les ni le protectionnisme offensif préconisé par Trump.
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Dès lors, la priorité absolue pour l’union européenne est de parvenir à l’harmonisation des positions de ses états membres face aux défis formidables que représente la Chine. Or ce point est loin d’être acquis. En effet on trouve en Europe un certain nombre d’Etats de tradition très libre-échangistes qui qui ne veulent pas entendre parler de la moindre entrave au commerce ou à l’investissement soit parce que cela heurte leur propre vision du monde soit parce qu’ils craignent de mettre en danger leurs intérêts en Chine. Aussi se montrent-ils réservés sur la mise en place d’un dispositif de contrôle des investissements étrangers susceptible de menacer les industries stratégiques de l’Europe. Il y a par ailleurs beaucoup d’états d’Europe centrale et orientale rongés par le populisme et qui ne manifestent aucune forme d’intérêt pour cette idée de multilatéralisme offensif. Arc-boutés sur des visions nationales très étroites ils apparaissent souvent fascinés par la logique de realpolitik portée par la Chine, par Trump ou par Poutine. Ces Etats qui n’ont pas beaucoup d’intérêts commerciaux offensifs ont le souci avant tout d’attirer des investissements chinois. Des investissements dont l’ampleur peut les conduire, comme la Grèce par exemple, à refuser toute mise en cause de la Chine y compris sur des questions politiques relatives aux droits de l’homme ou à la liberté de naviguer en mer de Chine. Macron s’efforce donc de convaincre ses pairs que l’on peut protéger l’Europe sans protectionnisme et se défaire d’une certaine naïveté commerciale. Mais rien n’est joué et encore moins gagné même si l’Allemagne évolue beaucoup sur ces questions.
Le second axe sur lequel l’Europe doit avancer est celui de la réciprocité garantie par des règles multilatérales. C’est tout l’enjeu de l’accord d’investissement entre l’Europe et la Chine sur lequel les progrès sont extrêmement lents tout simplement parce que la Chine est beaucoup plus intéressée par un accord de libre-échange avec l’Europe que par un accord sur les investissements. Un ordre de priorité inconcevable pour l’Europe.
L’Europe n’a donc pas d’autre carte que celle du multilatéralisme offensif face à une politique américaine qui veut détruire le multilatéralisme et une Chine qui veut se garder de le réformer pour continuer sa marche vers la conquête du monde.
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In betting that the economic fallout from his sweeping new tariffs will be worth the gains in border security, US President Donald Trump is gambling with America’s long-term influence and prosperity. In the future, more countries will have even stronger reasons to try to reduce their reliance on the United States.
thinks Donald Trump's trade policies will undermine the very goals they aim to achieve.
While America’s AI industry arguably needed shaking up, the news of a Chinese startup beating Big Tech at its own game raises some difficult questions. Fortunately, if US tech leaders and policymakers can take the right lessons from DeepSeek's success, we could all end up better for it.
considers what an apparent Chinese breakthrough means for the US tech industry, and innovation more broadly.
PARIS – La dernière conférence ministérielle de l’OMC a fait fiasco. Malgré un ordre du jour relativement limité, les participants n’ont guère été en mesure de produire un communiqué commun. Mais alors que, la commissaire européenne au Commerce exprimait son vif mécontentement le représentant américain ne cachait guère sa satisfaction car tout affaiblissement de l’OMC est bon à prendre. Quant à la Chine, elle n'était pas forcément déçue du résultat m^me si comme souvent elle laisse volontiers à l’Inde le soin de monter en première ligne pour s'en prendre aux Occidentaux. Ces réactions en disent assez long sur les divergences d’intérêts qui existent aujourd’hui au sein de l’OMC. Une situation préoccupante pour l’Europe qui sur le commerce comme pour le reste risque une fois de plus de se trouver prise en tenailles entre une Amérique chaotique et nationaliste et une Chine déterminée mais tout aussi nationaliste.
A priori, la nouvelle donne commerciale mondiale marquée par le protectionnisme offensif de Trump laisse le champ libre à l’Europe pour assumer une forme de leadership multilatéral. De fait, la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon va clairement permettre à l’agriculture européenne de marquer des points au détriment des États-Unis qui n’ont pas d’accord équivalent avec Tokyo. Certains à Bruxelles pensent donc qu’en multipliant des accords de libre-échange avec des partenaires commerciaux importants, l’Europe pourrait faire avancer ses intérêts au détriment de son rival américain. D’autres vont encore plus loin. Ils estiment que le vibrant plaidoyer de Monsieur Xi à Davos en faveur du multilatéralisme ouvre la voie à une forme de partenariat euro chinois pour contrer Trump. Mais ce raisonnement nous semble bien léger...
Certes, sur le plan tactique l’Europe peut tirer profit des choix brutaux et maladroits de Trump. Mais il serait illusoire de croire qu’elle en tirera un bénéfice stratégique. Car si Washington n’a plus forcément les moyens d’organiser le système commercial multilatéral à son seul avantage, il dispose malheureusement des ressources pour le détruire. Et cela ne peut que inquiéter l’Europe même si elle reste la première puissance commerciale mondiale. Une récente étude a d’ailleurs à montré que depuis 2008 la croissance des exportations de l’union européenne avait fortement pâti des obstacles mis en place par la Chine.
En effet, l’Europe n’est pas un Etat. Ce n’est donc pas un acteur capable de négocier gains stratégiques ou politiques contre concessions commerciales par exemple. Trump peut dire à la Chine que si elle fait des efforts sur la Corée il pourra différer certaines rétorsions commerciales. L’Europe ne le peut pas car personne ne peut parler en Europe d’une seule voix sur le plan stratégique. On ne saurait donc exclure que les Chinois qui parlent couramment le langage de la realpolitik préfèreront prioritairement satisfaire les États-Unis sur une base ad hoc que l’Europe sur des bases multilatérales. C’est au demeurant un des calculs que fait Trump.
En second lieu, quand bien même les Européens partagent la quasi-totalité des griefs américains sur la Chine (octroi de subventions d’État aux entreprises privées, opacité des sociétés d’État, non-respect des droits de la propriété ou des règles d’accès au marché) ils n’ont pas la même façon de gérer le problème chinois. Les Européens pensent que les règles de l’OMC contiennent des zones grises dont les Chinois tirent aujourd’hui profit. Ils veulent donc pouvoir négocier de nouvelles règles avec eux soit dans le cadre d’un accord d’investissement bilatéral soit dans le cadre d’un accord pluriannuel sur les marchés publics. Trump ne veut pas de nouvelles règles. Il veut couler le système, non le réformer. Il veut des résultats concrets destinés à montrer qu’il peut réduire le déficit commercial et cela indépendamment des moyens utilisés pour y parvenir. La grande différence entre Trump et son prédécesseur réside d’ailleurs là. Obama avait exprimé des griefs tout à fait comparables à ceux de Trump aujourd’hui. Mais à sa différence il voulait peser sur la Chine en l’encerclant en quelque sorte grâce à un dispositif réglementaire mondial : le TPP avec l’Asie et leTTIP avec l’Europe. C’était d’ailleurs tout le sens du projet de traité transatlantique qui visait au fond à établir une forme de convergence réglementaire euro-américaine. Elle aurait permis aux États-Unis comme à l’union européenne de définir des standards communs de la nouvelle économie opposables à la Chine. Malheureusement ce projet a buté sur une double précipitation qui lui a été fatale. Celle de l’administration Obama qui voulait absolument arracher cet accord aux Européens avant la fin de son mandat. Celle ensuite de certains Européens, mais pas de la France, qui pensaient non sans raison qu’un accord avec les États-Unis ne pourrait intervenir qu’avant les nouvelles élections américaines. Le résultat est que cette précipitation a fait naître un certain nombre d’inquiétudes notamment en Europe quant au respect de règles environnementales et sanitaires. Il y a eu le sentiment que l’on cherchait à tout prix à parvenir à un accord alors que nous savons que la convergence réglementaire entre les États-Unis et l’Europe prendra une bonne dizaine d’années pour aboutir. Un jour ou l’autre il faudra donc reprendre le travail de convergence entre les États-Unis et l’union européenne face à la Chine car leurs intérêts sont convergents. Mais Trump voit les choses d’une tout autre façon. Il veut imposer à Pékin un nouveau rapport de force non sur la base non du multilatéralisme mais sur celle de la stricte réciprocité bilatérale.
Quant à l’idée d’une alliance possible entre les Européens et les Chinois face à Trump elle paraît bien difficile. Certes, Européens et Chinois se montrent favorables à la globalisation et au multilatéralisme. Mais il faut quand même bien voir que la Chine est favorable au multilatéralisme commercial sous réserve de ne rien changer. Or il est bien évident que l’Europe ne saurait se satisfaire de cette situation. À la différence de Trump elle tient absolument au multilatéralisme. Mais à celle de la Chine elle refuse le statu quo. Elle plaide pour un multilatéralisme offensif qui ne serait ni le multilatéralisme de statu quo défendu par les ni le protectionnisme offensif préconisé par Trump.
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Dès lors, la priorité absolue pour l’union européenne est de parvenir à l’harmonisation des positions de ses états membres face aux défis formidables que représente la Chine. Or ce point est loin d’être acquis. En effet on trouve en Europe un certain nombre d’Etats de tradition très libre-échangistes qui qui ne veulent pas entendre parler de la moindre entrave au commerce ou à l’investissement soit parce que cela heurte leur propre vision du monde soit parce qu’ils craignent de mettre en danger leurs intérêts en Chine. Aussi se montrent-ils réservés sur la mise en place d’un dispositif de contrôle des investissements étrangers susceptible de menacer les industries stratégiques de l’Europe. Il y a par ailleurs beaucoup d’états d’Europe centrale et orientale rongés par le populisme et qui ne manifestent aucune forme d’intérêt pour cette idée de multilatéralisme offensif. Arc-boutés sur des visions nationales très étroites ils apparaissent souvent fascinés par la logique de realpolitik portée par la Chine, par Trump ou par Poutine. Ces Etats qui n’ont pas beaucoup d’intérêts commerciaux offensifs ont le souci avant tout d’attirer des investissements chinois. Des investissements dont l’ampleur peut les conduire, comme la Grèce par exemple, à refuser toute mise en cause de la Chine y compris sur des questions politiques relatives aux droits de l’homme ou à la liberté de naviguer en mer de Chine. Macron s’efforce donc de convaincre ses pairs que l’on peut protéger l’Europe sans protectionnisme et se défaire d’une certaine naïveté commerciale. Mais rien n’est joué et encore moins gagné même si l’Allemagne évolue beaucoup sur ces questions.
Le second axe sur lequel l’Europe doit avancer est celui de la réciprocité garantie par des règles multilatérales. C’est tout l’enjeu de l’accord d’investissement entre l’Europe et la Chine sur lequel les progrès sont extrêmement lents tout simplement parce que la Chine est beaucoup plus intéressée par un accord de libre-échange avec l’Europe que par un accord sur les investissements. Un ordre de priorité inconcevable pour l’Europe.
L’Europe n’a donc pas d’autre carte que celle du multilatéralisme offensif face à une politique américaine qui veut détruire le multilatéralisme et une Chine qui veut se garder de le réformer pour continuer sa marche vers la conquête du monde.