fischer220_Sam TarlingGetty Images_marinelepen Sam Tarling/Getty Images

Rendre l'Europe à nouveau faible

BERLIN - Après le 5 novembre, le monde saura si les Américains se sont détournés du leadership mondial ou s'ils ont décidé de s’y maintenir, honorant l'engagement de leur pays envers des alliances de longue date telles que l'Otan. Telles sont les solutions très différentes représentées respectivement par l'isolationniste Donald Trump et la vice-présidente Kamala Harris.

Mais alors que le monde observe avec inquiétude le déroulement des élections américaines, les Européens, d'une certaine manière, ont déjà voté. Les récentes élections dans les deux plus grands États membres de l'Union européenne, la France et l'Allemagne, ont été pour le moins décourageantes, se traduisant par des gains significatifs pour l'extrême droite anti-occidentale et anti-européenne.

Bien que l'extrême droite n'ait pas obtenu de majorité parlementaire dans les deux pays, ses gains sont trop importants pour être ignorés. À l'avenir, il sera plus difficile dans les deux pays de former une majorité stable avec des forces démocratiques, et donc plus facile pour l'extrême droite d'accéder au pouvoir par la voie électorale.

En France, après la défaite démoralisante du centre politique aux élections européennes de juin, le président Emmanuel Macron a, contre toute attente, dissous l'Assemblée nationale et convoqué des élections anticipées. Loin de clarifier la situation, ces élections ont débouché sur un parlement sans majorité. Bien qu'une alliance de partis de gauche ait remporté le plus grand nombre de sièges, elle est loin d'avoir obtenu la majorité.

Pour sa part, Macron a refusé de coopérer avec l'extrême gauche ou avec le Rassemblement national d'extrême droite de Marine Le Pen, qui avait remporté le plus grand nombre de sièges lors des élections européennes. N'ayant guère d'autre choix, il a nommé un premier ministre issu des rangs du parti gaulliste de centre-droit Les Républicains, qui n'est plus qu'un parti mineur au Parlement. Son choix, Michel Barnier, a précédemment dirigé les négociations de l'UE sur le Brexit avec le Royaume-Uni. Il est considéré qu’il a la main ferme. Mais, en fait, Macron a ouvert la porte à une participation indirecte du Rassemblement national au gouvernement, en raison de la dépendance à son soutien tacite. 

Une situation similaire se profile en Allemagne, où les élections régionales en Thuringe et en Saxe n'ont pas permis de dégager des majorités au centre. Par conséquent, le seul moyen d'empêcher l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), un parti d'extrême droite, d'entrer au gouvernement est d'inclure la nouvelle Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), un parti pro-russe dont l'objectif principal est de mettre fin à la guerre en Ukraine en recherchant la « paix » selon les termes de Vladimir Poutine. Malgré la courte victoire du parti social-démocrate de centre-gauche dans le Brandebourg dimanche dernier, les récentes élections régionales en Allemagne sont de mauvais augure pour les élections fédérales de septembre prochain.

PS Events: AI Action Summit 2025
AI Event Hero

PS Events: AI Action Summit 2025

Don’t miss our next event, taking place at the AI Action Summit in Paris. Register now, and watch live on February 10 as leading thinkers consider what effective AI governance demands.

Register Now

Pour l'instant, la faiblesse du centre démocratique en France et en Allemagne pourrait effectivement permettre à Poutine de s'asseoir à la table du cabinet dans les deux pays. Bien sûr, sur le plan politique, la France et l'Allemagne ne sont pas la Hongrie ou la Slovaquie. Mais la Hongrie et la Slovaquie ne sont pas non plus au cœur de l'avenir de l'Union comme le sont la France et l'Allemagne. Si les Français et les Allemands faiblissent parce qu'ils ne peuvent pas former un gouvernement majoritaire au centre, il est presque certain que l'UE dans son ensemble stagnera et sera paralysée face à la guerre de conquête de Poutine. Pire encore, dans un ordre mondial en mutation rapide, de plus en plus défini par les rivalités entre grandes puissances, l'Europe serait effectivement écartée de la scène mondiale.

En d'autres termes, l'Europe est confrontée à une triple menace, qui est apparue plus clairement à la suite des élections de cette année. Son ordre démocratique est menacé par le nationalisme de l'intérieur, le révisionnisme violent de l'extérieur et le retour potentiel d'un président américain qui méprise l'Otan (et la sécurité qu'elle apporte).

Le nationalisme est en résurgence dans toute l'Europe depuis au moins une décennie, après avoir obtenu son premier grand et dangereux résultat avec le référendum britannique sur le Brexit en 2016. Mais les conséquences de ce renouveau continuent de choquer partout où elles apparaissent. On ne saurait trop insister sur l'importance des gains électoraux importants réalisés par l'extrême droite en Allemagne. De tels développements sont et resteront profondément débilitants pour l'UE alors qu'elle navigue dans un environnement géopolitique de plus en plus difficile. 

Une Europe qui reste idéologiquement attachée à l'ère des États-nations ne sera pas en mesure de poursuivre l'intégration, qui est nécessaire pour préserver sa souveraineté dans le monde d'aujourd'hui. Elle ne sera pas non plus en mesure de concevoir des politiques efficaces et cohérentes pour gérer des questions telles que l'immigration, même si l'Europe a besoin de nouveaux arrivants pour faire face à sa crise démographique. Si les Européens continuent à soutenir les partis néo-nationalistes, ils s'affaibliront eux-mêmes.

La seule chance de l'Europe dans le monde dangereux d'aujourd'hui est de montrer sa force par l'unité. Plus les forces nationalistes se renforceront, plus l'Europe sera faible.

https://prosyn.org/OuZuwyqfr