BERLIN – L'hydrogène vert est le sujet du jour. Lors de la COP27 (la Conférence des Nations unies sur le changement climatique) qui s'est tenue en Egypte, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé que l'Allemagne allait consacrer plus de 4 milliards d'euros au développement de ce marché. Aux USA, sous l'impulsion de Biden, l'hydrogène "propre" est devenue un élément central de la loi sur la réduction de l'inflation qui inclut des subventions en faveur des énergies renouvelables. La Chine quant à elle investit massivement dans la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, au point que certains observateurs étrangers craignent qu'elle ne parvienne à dominer le marché - comme elle l'a déjà fait avec les panneaux photovoltaïques. Des entreprises comme le géant minier Fortescue misent sur l'idée que le secteur de l'hydrogène propre va brasser des milliards de dollars avant la fin de la décennie.
Nombre de militants écologistes n'apprécient guère tout le bruit autour d'une technologie. L'hydrogène "propre" sert-il avant tout à donner un vernis écologique à l'hydrogène "bleu" produit à partir de gaz naturel, et à l'hydrogène "rose" produit à partir de centrales nucléaires ? Est-ce une tentative de trouver une solution miracle qui justifie des excès aussi absurdes que le tourisme spatial ou les vols supersoniques, alors que les classes les plus élevées et les classes moyennes devraient réduire leur consommation, qu'il s'agisse d'énergie ou d'autres ressources ? Autre interrogation : s'agit-il de la prochaine étape de l'extractivisme (l'appropriation des richesses naturelles des pays à faible revenu sous prétexte de combattre le réchauffement climatique) ?
La réponse à ces questions est Oui, mais ce n'est pas une fatalité. Il faut nuancer. Certes, le rêve de l'hydrogène vert pourrait se transformer en cauchemar en cas d'échec ; il s'agit néanmoins d'une composante indispensable du basculement des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, composante à mettre en place de toute urgence si l'on veut éviter une catastrophe climatique.
Compte tenu des nombreuses applications possibles de l'hydrogène, des experts réputés estiment qu'il pourrait être à l'origine de 20 à 30 % de la consommation mondiale d'énergie d'ici le milieu du siècle. Ce n'est pas pour autant le meilleur choix. Ainsi les batteries électriques s'avèrent plus rentables pour alimenter les voitures et les camions que les piles à hydrogène ou les carburants de synthèse (e-fuel). De même, l'utilisation de pompes à chaleur est plus efficace que la conversion des chaudières à gaz en chaudières à l'hydrogène. Il faudrait aussi accorder davantage d'attention aux alternatives organiques aux engrais azotés.
Mais il existe plusieurs secteurs d'importance pour lesquels il y a peu d'alternatives décarbonées économiquement viables à l'hydrogène vert et à ses dérivés (notamment le transport maritime et aérien longue distance, les produits chimiques et la sidérurgie). Quel que soit le battage médiatique, de nombreux secteurs auront besoin de grandes quantités d'hydrogène propre pour parvenir au Zéro émission nette d'ici 2050. Pour illustrer l'ampleur du défi, le fondateur de Bloomberg New Energy Finance, Michael Liebreich, a récemment estimé que le remplacement de l'hydrogène "sale" d'aujourd'hui (produit à partir de combustibles fossiles) par de l'hydrogène propre nécessiterait 1,43 fois la totalité de l'énergie éolienne et solaire dont dispose la planète.
Plusieurs pays du Sud disposent d'un potentiel solaire et éolien important, ce qui leur permet de produire de l'hydrogène vert à très faible coût. Certains, comme la Namibie, ont construit leur stratégie de développement industriel autour de cet avantage concurrentiel. Mais comment le commerce international de l'hydrogène vert peut-il devenir un chemin vers la prospérité ? Et comment les pays en développement peuvent-ils éviter le piège de l'extractivisme vert et veiller à ce que le commerce de leurs ressources soit équitable et durable ?
Ces questions ont été explorées en profondeur à l'occasion d'une série de consultations et d'études au Chili, en Argentine, au Brésil, en Colombie, en Afrique du Sud, au Maroc et en Tunisie. Un nouveau rapport de la Fondation Heinrich Böll et de l'organisation Pain pour le monde synthétise leurs conclusions et insiste sur la nécessité de ne pas nuire. Pour que le rêve de l'hydrogène vert ne se transforme pas en cauchemar, nous devons développer ce secteur dans le cadre d'une planification territoriale, d'une politique et de normes et claires, et faire respecter le droit des communautés locales à exprimer ou non leur consentement en connaissance de cause. Pour tenir la promesse de l'hydrogène vert et favoriser des économies durables, les Etats doivent élaborer des stratégies industrielles ambitieuses et réalistes, inscrites dans une approche systémique du développement durable et de la transition énergétique. Par ailleurs, il faut non seulement envisager la manière d'utiliser l'hydrogène, mais aussi identifier les pays qui disposant des moyens suffisants pour s'en procurer.
Rien de tout cela ne sera facile. Viser à un avenir durable est un choix politique, il exige leadership et coopération. Plusieurs pays pourraient contribuer à ce que le commerce équitable et durable de l'hydrogène propre devienne réalité. A titre d'exemple, la Namibie, le Chili, la Colombie et maintenant le Brésil sous la présidence de Lula da Silva disposent des conditions politiques adéquates pour parvenir à une production d'hydrogène vert dans le cadre de normes environnementales et sociales strictes. Avec le temps, l'Argentine et l'Afrique du Sud pourraient rejoindre la liste des pays producteurs.
En tant qu'importateur et consommateur potentiel d'hydrogène vert à grande échelle, l'Allemagne devrait développer des partenariats avec les pays producteurs sur la base de normes environnementales et sociales rigoureuses. Et compte tenu de son gouvernement progressiste, on peut espérer qu'elle considèrera les pays producteurs non comme de simples fournisseurs, mais comme des partenaires à long terme dans la transition vers une prospérité durable et inclusive.
Pour cela, l'Allemagne et les autres pays importateurs d'énergie doivent aider les pays exportateurs à produire localement de la valeur. De cette manière, le commerce international émergent de l'hydrogène vert pourrait devenir le symbole d'un renouveau équitable des échanges Nord-Sud. C'est un avenir qui mérite que l'on se batte pour qu'il advienne. Les énergies renouvelables en sont la clé.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
BERLIN – L'hydrogène vert est le sujet du jour. Lors de la COP27 (la Conférence des Nations unies sur le changement climatique) qui s'est tenue en Egypte, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé que l'Allemagne allait consacrer plus de 4 milliards d'euros au développement de ce marché. Aux USA, sous l'impulsion de Biden, l'hydrogène "propre" est devenue un élément central de la loi sur la réduction de l'inflation qui inclut des subventions en faveur des énergies renouvelables. La Chine quant à elle investit massivement dans la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau, au point que certains observateurs étrangers craignent qu'elle ne parvienne à dominer le marché - comme elle l'a déjà fait avec les panneaux photovoltaïques. Des entreprises comme le géant minier Fortescue misent sur l'idée que le secteur de l'hydrogène propre va brasser des milliards de dollars avant la fin de la décennie.
Nombre de militants écologistes n'apprécient guère tout le bruit autour d'une technologie. L'hydrogène "propre" sert-il avant tout à donner un vernis écologique à l'hydrogène "bleu" produit à partir de gaz naturel, et à l'hydrogène "rose" produit à partir de centrales nucléaires ? Est-ce une tentative de trouver une solution miracle qui justifie des excès aussi absurdes que le tourisme spatial ou les vols supersoniques, alors que les classes les plus élevées et les classes moyennes devraient réduire leur consommation, qu'il s'agisse d'énergie ou d'autres ressources ? Autre interrogation : s'agit-il de la prochaine étape de l'extractivisme (l'appropriation des richesses naturelles des pays à faible revenu sous prétexte de combattre le réchauffement climatique) ?
La réponse à ces questions est Oui, mais ce n'est pas une fatalité. Il faut nuancer. Certes, le rêve de l'hydrogène vert pourrait se transformer en cauchemar en cas d'échec ; il s'agit néanmoins d'une composante indispensable du basculement des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables, composante à mettre en place de toute urgence si l'on veut éviter une catastrophe climatique.
Compte tenu des nombreuses applications possibles de l'hydrogène, des experts réputés estiment qu'il pourrait être à l'origine de 20 à 30 % de la consommation mondiale d'énergie d'ici le milieu du siècle. Ce n'est pas pour autant le meilleur choix. Ainsi les batteries électriques s'avèrent plus rentables pour alimenter les voitures et les camions que les piles à hydrogène ou les carburants de synthèse (e-fuel). De même, l'utilisation de pompes à chaleur est plus efficace que la conversion des chaudières à gaz en chaudières à l'hydrogène. Il faudrait aussi accorder davantage d'attention aux alternatives organiques aux engrais azotés.
Mais il existe plusieurs secteurs d'importance pour lesquels il y a peu d'alternatives décarbonées économiquement viables à l'hydrogène vert et à ses dérivés (notamment le transport maritime et aérien longue distance, les produits chimiques et la sidérurgie). Quel que soit le battage médiatique, de nombreux secteurs auront besoin de grandes quantités d'hydrogène propre pour parvenir au Zéro émission nette d'ici 2050. Pour illustrer l'ampleur du défi, le fondateur de Bloomberg New Energy Finance, Michael Liebreich, a récemment estimé que le remplacement de l'hydrogène "sale" d'aujourd'hui (produit à partir de combustibles fossiles) par de l'hydrogène propre nécessiterait 1,43 fois la totalité de l'énergie éolienne et solaire dont dispose la planète.
Plusieurs pays du Sud disposent d'un potentiel solaire et éolien important, ce qui leur permet de produire de l'hydrogène vert à très faible coût. Certains, comme la Namibie, ont construit leur stratégie de développement industriel autour de cet avantage concurrentiel. Mais comment le commerce international de l'hydrogène vert peut-il devenir un chemin vers la prospérité ? Et comment les pays en développement peuvent-ils éviter le piège de l'extractivisme vert et veiller à ce que le commerce de leurs ressources soit équitable et durable ?
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Ces questions ont été explorées en profondeur à l'occasion d'une série de consultations et d'études au Chili, en Argentine, au Brésil, en Colombie, en Afrique du Sud, au Maroc et en Tunisie. Un nouveau rapport de la Fondation Heinrich Böll et de l'organisation Pain pour le monde synthétise leurs conclusions et insiste sur la nécessité de ne pas nuire. Pour que le rêve de l'hydrogène vert ne se transforme pas en cauchemar, nous devons développer ce secteur dans le cadre d'une planification territoriale, d'une politique et de normes et claires, et faire respecter le droit des communautés locales à exprimer ou non leur consentement en connaissance de cause. Pour tenir la promesse de l'hydrogène vert et favoriser des économies durables, les Etats doivent élaborer des stratégies industrielles ambitieuses et réalistes, inscrites dans une approche systémique du développement durable et de la transition énergétique. Par ailleurs, il faut non seulement envisager la manière d'utiliser l'hydrogène, mais aussi identifier les pays qui disposant des moyens suffisants pour s'en procurer.
Rien de tout cela ne sera facile. Viser à un avenir durable est un choix politique, il exige leadership et coopération. Plusieurs pays pourraient contribuer à ce que le commerce équitable et durable de l'hydrogène propre devienne réalité. A titre d'exemple, la Namibie, le Chili, la Colombie et maintenant le Brésil sous la présidence de Lula da Silva disposent des conditions politiques adéquates pour parvenir à une production d'hydrogène vert dans le cadre de normes environnementales et sociales strictes. Avec le temps, l'Argentine et l'Afrique du Sud pourraient rejoindre la liste des pays producteurs.
En tant qu'importateur et consommateur potentiel d'hydrogène vert à grande échelle, l'Allemagne devrait développer des partenariats avec les pays producteurs sur la base de normes environnementales et sociales rigoureuses. Et compte tenu de son gouvernement progressiste, on peut espérer qu'elle considèrera les pays producteurs non comme de simples fournisseurs, mais comme des partenaires à long terme dans la transition vers une prospérité durable et inclusive.
Pour cela, l'Allemagne et les autres pays importateurs d'énergie doivent aider les pays exportateurs à produire localement de la valeur. De cette manière, le commerce international émergent de l'hydrogène vert pourrait devenir le symbole d'un renouveau équitable des échanges Nord-Sud. C'est un avenir qui mérite que l'on se batte pour qu'il advienne. Les énergies renouvelables en sont la clé.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz