WASHINGTON – Je passe la plus grande partie de mon temps à appeler à des politiques que l'on peut considérer comme radicale. Mais aujourd'hui j'en appelle tout simplement au bon sens. En mars, la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la Bourse, a proposé une nouvelle réglementation qui oblige les sociétés cotées en Bourse aux USA à dévoiler les risques climatiques qu'elles peuvent engendrer, ainsi que les informations concernant leurs émissions de gaz à effet de serre. Elles devront dévoiler le bilan carbone relatif tant à leur propre fonctionnement qu'aux produits qu'elles achètent et qu'elles vendent. Cela correspond à des transactions à hauteur de 82 000 milliards de dollars que la SEC supervise chaque année.
Maintenant que la période de consultation publique est achevée, la SEC devrait adopter cette nouvelle réglementation. Elle peut sembler radicale, mais il s'agit uniquement d'informations. Les entreprises auront un devoir d'information à l'égard des investisseurs, quant à la manière dont leur bilan carbone pourrait affecter leurs bénéfices. Les décisions des régulateurs financiers, des PDG, des investisseurs et plus généralement le comportement des marchés reposent avant tout sur l'information. Derrière chaque transaction, il y a un investisseur qui décide sur la base des meilleures informations disponibles. Il n'y a rien de radical à en vouloir davantage.
La nouvelle réglementation arrive à point nommé. L'année dernière les entreprises ont supporté une part importante des 145 milliards de dollars de dégâts dus à des catastrophes météorologiques aux USA. Les risques climatiques sont déjà considérables et ils devraient augmenter. C'est pourquoi une commission bipartisane incluant l'Institut des ressources mondiales et de nombreuses entreprises recommande de nouvelles règles de divulgation par ces dernières de leur bilan carbone. Ces règles figurent dans un rapport de 2020 destiné à la Commission américaine de régulation des marchés dérivés (CFTC, Commodity Futures Trading Commission).
Pour gérer les risques et tirer parti des nouvelles opportunités, les investisseurs ont besoin de connaître la politique climatique des entreprises. Les investisseurs et les Etats font de plus en plus pression sur les entreprises pour qu'elles fassent preuve de plus de transparence. Le Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD, Task Force on Climate-Related Financial Disclosures) soutenu par le G20 a publié ses recommandations dès 2017, avec depuis lors le concours de plus de 3000 entreprises et de 92 pays du monde entier.
En outre, cette année encore, le Conseil international de normalisation durable (International Sustainability Standards Board) devrait publier lui aussi une nouvelle réglementation en matière de climat. La Chine teste actuellement une mesure de divulgation obligatoire. Le Royaume-Uni introduira des règles de divulgation obligatoire (inspirées des recommandations du TCFD) au cours des trois prochaines années. Et l'Union européenne élabore sa Taxinomie de la finance durable qui va au-delà de la divulgation des risques climatiques en classant l'activité économique des entreprises selon des critères précis de durabilité. Toutes ces initiatives supposent que les entreprises déclarent leurs émissions de gaz à effet de serre.
Pour de nombreux chefs d'entreprise, il n'y a là rien de nouveau. Des firmes de premier plan comme Apple, Best Buy, Coca-Cola, Cargill, Ford, Gap, Hilton ou Starbucks publient déjà des informations sur leur impact climatique et sur celui de leurs chaînes d'approvisionnement. Loin d'être marginales, ces firmes représentent le courant dominant aux USA. Même les géants du pétrole et du gaz comme Shell, TotalEnergies et Equinor communiquent depuis longtemps sur les émissions de leurs chaînes de valeur.
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Des PDG avisés utilisent déjà les informations sur les risques liés au climat pour identifier de nouvelles opportunités commerciales. Comme l'a déclaré en 2020 Lawrence Culp, le PDG de General Electric, "Nous sommes particulièrement conscients des défis techniques qu'il reste à relever pour parvenir à des émissions nettes nulles... Cependant, nous pensons que ces défis sont également des opportunités stratégiques clés pour General Electric". Les PDG et les investisseurs sont de plus en plus nombreux à comprendre que l'économie du 21° siècle devra être verte, efficace et résiliente. Le flux de capitaux dans les investissements classés durables a bondi pour atteindre le montant record de 649 milliards de dollars en 2021.
Or la disponibilité et la qualité des données restent très inégales, chaque entreprise comptabilisant à sa manière ses émissions de gaz à effet de serre. Certaines ne prennent pas en compte leurs émissions de niveau "scope 3" [les émissions indirectes], un problème qui disparaît du fait de la nouvelle réglementation. Certaines entreprises ne fournissent aucune information sur leurs émissions ou ne prennent aucune précaution. De ce fait, beaucoup d'entre elles (ainsi que leurs investisseurs) n'ont pas conscience des risques climatiques et des opportunités qui s'offrent. A la place de la clarté, c'est la confusion qui règne.
Si les entreprises communiquent suivant une norme commune les informations sur leurs émissions, les investisseurs seront mieux à même de choisir et de leur coté les entreprises seront dans une situation de concurrence équitable.
Le basculement général vers l'obligation de publication de leur bilan carbone par les entreprises est en cours. En agissant dès à présent, la SEC peut améliorer considérablement le fonctionnement des marchés. Cela permettra aux USA de conserver la main sur la réglementation internationale, plutôt que d'avoir à la suivre. Tous les acteurs financiers (les entreprises, les investisseurs, les Etats et les citoyens disposant d'une épargne) doivent faire face aux risques climatiques, des risques dont certains se sont déjà matérialisés. Exiger des entreprises qu'elles dévoilent les informations relatives à leurs émissions de gaz à effet de serre n'a rien de radical, c'est une mesure de bon sens.
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At the end of a year of domestic and international upheaval, Project Syndicate commentators share their favorite books from the past 12 months. Covering a wide array of genres and disciplines, this year’s picks provide fresh perspectives on the defining challenges of our time and how to confront them.
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WASHINGTON – Je passe la plus grande partie de mon temps à appeler à des politiques que l'on peut considérer comme radicale. Mais aujourd'hui j'en appelle tout simplement au bon sens. En mars, la SEC (Securities and Exchange Commission), le gendarme américain de la Bourse, a proposé une nouvelle réglementation qui oblige les sociétés cotées en Bourse aux USA à dévoiler les risques climatiques qu'elles peuvent engendrer, ainsi que les informations concernant leurs émissions de gaz à effet de serre. Elles devront dévoiler le bilan carbone relatif tant à leur propre fonctionnement qu'aux produits qu'elles achètent et qu'elles vendent. Cela correspond à des transactions à hauteur de 82 000 milliards de dollars que la SEC supervise chaque année.
Maintenant que la période de consultation publique est achevée, la SEC devrait adopter cette nouvelle réglementation. Elle peut sembler radicale, mais il s'agit uniquement d'informations. Les entreprises auront un devoir d'information à l'égard des investisseurs, quant à la manière dont leur bilan carbone pourrait affecter leurs bénéfices. Les décisions des régulateurs financiers, des PDG, des investisseurs et plus généralement le comportement des marchés reposent avant tout sur l'information. Derrière chaque transaction, il y a un investisseur qui décide sur la base des meilleures informations disponibles. Il n'y a rien de radical à en vouloir davantage.
La nouvelle réglementation arrive à point nommé. L'année dernière les entreprises ont supporté une part importante des 145 milliards de dollars de dégâts dus à des catastrophes météorologiques aux USA. Les risques climatiques sont déjà considérables et ils devraient augmenter. C'est pourquoi une commission bipartisane incluant l'Institut des ressources mondiales et de nombreuses entreprises recommande de nouvelles règles de divulgation par ces dernières de leur bilan carbone. Ces règles figurent dans un rapport de 2020 destiné à la Commission américaine de régulation des marchés dérivés (CFTC, Commodity Futures Trading Commission).
Pour gérer les risques et tirer parti des nouvelles opportunités, les investisseurs ont besoin de connaître la politique climatique des entreprises. Les investisseurs et les Etats font de plus en plus pression sur les entreprises pour qu'elles fassent preuve de plus de transparence. Le Groupe de travail sur les informations financières liées au climat (TCFD, Task Force on Climate-Related Financial Disclosures) soutenu par le G20 a publié ses recommandations dès 2017, avec depuis lors le concours de plus de 3000 entreprises et de 92 pays du monde entier.
En outre, cette année encore, le Conseil international de normalisation durable (International Sustainability Standards Board) devrait publier lui aussi une nouvelle réglementation en matière de climat. La Chine teste actuellement une mesure de divulgation obligatoire. Le Royaume-Uni introduira des règles de divulgation obligatoire (inspirées des recommandations du TCFD) au cours des trois prochaines années. Et l'Union européenne élabore sa Taxinomie de la finance durable qui va au-delà de la divulgation des risques climatiques en classant l'activité économique des entreprises selon des critères précis de durabilité. Toutes ces initiatives supposent que les entreprises déclarent leurs émissions de gaz à effet de serre.
Pour de nombreux chefs d'entreprise, il n'y a là rien de nouveau. Des firmes de premier plan comme Apple, Best Buy, Coca-Cola, Cargill, Ford, Gap, Hilton ou Starbucks publient déjà des informations sur leur impact climatique et sur celui de leurs chaînes d'approvisionnement. Loin d'être marginales, ces firmes représentent le courant dominant aux USA. Même les géants du pétrole et du gaz comme Shell, TotalEnergies et Equinor communiquent depuis longtemps sur les émissions de leurs chaînes de valeur.
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Des PDG avisés utilisent déjà les informations sur les risques liés au climat pour identifier de nouvelles opportunités commerciales. Comme l'a déclaré en 2020 Lawrence Culp, le PDG de General Electric, "Nous sommes particulièrement conscients des défis techniques qu'il reste à relever pour parvenir à des émissions nettes nulles... Cependant, nous pensons que ces défis sont également des opportunités stratégiques clés pour General Electric". Les PDG et les investisseurs sont de plus en plus nombreux à comprendre que l'économie du 21° siècle devra être verte, efficace et résiliente. Le flux de capitaux dans les investissements classés durables a bondi pour atteindre le montant record de 649 milliards de dollars en 2021.
Or la disponibilité et la qualité des données restent très inégales, chaque entreprise comptabilisant à sa manière ses émissions de gaz à effet de serre. Certaines ne prennent pas en compte leurs émissions de niveau "scope 3" [les émissions indirectes], un problème qui disparaît du fait de la nouvelle réglementation. Certaines entreprises ne fournissent aucune information sur leurs émissions ou ne prennent aucune précaution. De ce fait, beaucoup d'entre elles (ainsi que leurs investisseurs) n'ont pas conscience des risques climatiques et des opportunités qui s'offrent. A la place de la clarté, c'est la confusion qui règne.
Si les entreprises communiquent suivant une norme commune les informations sur leurs émissions, les investisseurs seront mieux à même de choisir et de leur coté les entreprises seront dans une situation de concurrence équitable.
Le basculement général vers l'obligation de publication de leur bilan carbone par les entreprises est en cours. En agissant dès à présent, la SEC peut améliorer considérablement le fonctionnement des marchés. Cela permettra aux USA de conserver la main sur la réglementation internationale, plutôt que d'avoir à la suivre. Tous les acteurs financiers (les entreprises, les investisseurs, les Etats et les citoyens disposant d'une épargne) doivent faire face aux risques climatiques, des risques dont certains se sont déjà matérialisés. Exiger des entreprises qu'elles dévoilent les informations relatives à leurs émissions de gaz à effet de serre n'a rien de radical, c'est une mesure de bon sens.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz