LONDRES – Pour surmonter la menace catastrophique que fait peser le réchauffement climatique sur le bien-être humain, certains appellent à un changement radical dans nos comportements – cesser de prendre l’avion, se déplacer à vélo, renoncer à la viande rouge. D’autres pensent que les nouvelles technologies permettront d’atteindre une croissance neutre en carbone. Qui a raison ? Greta Thunberg, partisane du premier des deux choix, ou Bill Gates, qui privilégie la seconde voie dans son dernier livre ?
Sur le long terme, l’optimisme autour des technologies semble justifié. Selon deux rapports récents de la Commission sur les transitions énergétiques, l’électricité et l’hydrogène zéro carbone, qui représentent seulement 20 % de la consommation d’énergie, pourraient en représenter 75 % d’ici le milieu du siècle, sachant que l’énergie propre de demain sera moins coûteuse que l’énergie polluante d’aujourd’hui. L’électricité solaire coûte d’ores et déjà moins cher que l’électricité au charbon, de même que le prix des batteries a fortement chuté, et continuera de diminuer. Le coût de production d’hydrogène par électrolyse est également voué à s’effondrer dans les dix prochaines années.
Un accroissement massif de la production mondiale d’électricité sera nécessaire pour passer de 27 000 térawattheures aujourd’hui à 100 000 TWh d’ici 2050. La capacité totale de batteries est vouée à grimper en flèche, et des investissements considérables devront être effectués dans le développement des réseaux de transmission et de distribution.
D’abondantes ressources naturelles existent néanmoins en appui de l’électrification « verte ». Chaque jour, le soleil fournit 8 000 fois le volume d’énergie dont a besoin l’ensemble de la population planétaire pour bénéficier d’un niveau de vie élevé. Même si la totalité des 100 000 TWh d’électricité provenait de ressources solaires (sans faire intervenir l’éolien), il nous suffirait de recouvrir de panneaux photovoltaïques environ 1 % de la surface terrestre.
Il n’existe pas non plus de risque de pénurie concernant les principaux minerais nécessaires. Deux milliards de voitures électriques, chacune équipée d’une batterie de 60 kilowattheures, nécessiteraient un stock de 15 millions de tonnes de lithium pur, stock qui une fois mis en place pourrait être recyclé à l’infini. Les ressources planétaires actuelles de lithium s’élèvent à 80 millions de tonnes. Les réserves de nickel, de cuivre et de manganèse sont également abondantes, et les inquiétudes autour des ressources de cobalt ont conduit à des avancées technologiques qui rendent désormais possibles les batterie zéro cobalt.
Pour tout ce qui fait intervenir la conversion de photons en électrons, et d’électrons en ce que les physiciens appellent « travail » (pour les moteurs par exemple) ou en chaleur (ou froid), il n’existe à long terme pas de limite planétaire au mode de vie humain. D’ici 2060, nous pourrons sans plus culpabiliser bénéficier du transport aérien, du chauffage et de la climatisation, ainsi que de la croissance économique.
Néanmoins, et pour deux raisons, nous risquons encore un désastre potentiel, les chances se réduisant par ailleurs de parvenir à limiter le réchauffement planétaire « bien en dessous des 2°C », tel que promis par l’accord climatique de Paris en 2015.
Premièrement, nous avons désespérément tardé à agir. Si les pays riches s’étaient engagés en 1990 à atteindre une économie zéro carbone en 2030, nous nous approcherions d’ores et déjà de cet objectif, et le réchauffement climatique ralentirait. Mais nous ne l’avons pas fait, et au stade auquel nous nous trouvons actuellement, il nous faudrait idéalement réduire nos émissions de dioxyde de carbone de 50 % dans les 10 prochaines années.
Accomplir une réduction d’une telle ampleur est beaucoup plus difficile qu’atteindre le zéro émission d’ici le milieu du siècle. Même si toutes les automobiles vendues en 2030 étaient électriques, la plupart des voitures circulant sur les routes seraient encore à combustion interne, et continueraient de libérer du CO2 via leurs pots d’échappement. Et même si toute la croissance de la production d’électricité est aujourd’hui issue de sources zéro carbone, la fermeture des centrales à charbon existantes en Inde et en Chine nécessitera du temps.
La deuxième menace résulte de nos systèmes d’alimentation et d’utilisation des terres. Le défi réside moins dans la quantité d’énergie que nous consommons sous forme alimentaire, mais dans l’inefficience avec laquelle nous produisons nos aliments. Si les neuf milliards d’habitants de la planète absorbaient tous en 2050 une quantité adéquate de 2 200 calories par jours, nous aurions pour cela besoin de 7 400 TWh d’énergie, soit seulement 6 % environ de notre probable consommation énergétique non alimentaire.
Mais si nous pouvons recourir à l’électricité propre pour couvrir l’essentiel de nos besoins de chauffage, de climatisation, d’industrie et de transport, il nous est impossible de remplacer par des électrons les protéines et glucides présents dans notre alimentation. Nous produisons davantage nos aliments à partir de la photosynthèse des plantes, qui est beaucoup moins efficiente que la conversion de photons en électrons dans un panneau solaire.
Les recherches du World Resources Institute révèlent que les cannes à sucres les plus rapidement croissantes, sur des terres tropicales fertiles, ne transforment que 0,5 % du rayonnement solaire en énergie alimentaire consommable. Par opposition, un parc solaire peut atteindre une efficience de 15 %, vouée à augmenter au fil des avancées technologiques. Et lorsque l’estomac d’un bœuf transforme les protéines des plantes en viande, nous perdons plus de 90 % de l’énergie assimilée.
Résultat, la production d’aliments et de fibres constitue de loin la principale cause de déforestation tropicale. Aux côtés des émissions de méthane issues du bétail, ainsi que des émissions de protoxyde d’azote issues des engrais, la déforestation représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre, et menace d’engendrer des boucles de rétroaction vouées à accélérer le réchauffement climatique.
À long terme, les nouvelles technologies résoudront probablement ce problème également. Les viandes synthétiques produites grâce à une biologie de précision nécessitent 10 à 25 fois moins de terres que la production animale, et si ces procédés synthétiques deviennent plus efficients, ce qui ne sera pas possible chez l’animal, leurs coûts finiront par diminuer. D’ici le milieu du siècle, Bill Gates pourrait avoir vu juste, et Greta Thunberg s’être montrée trop pessimiste, même concernant l’alimentaire et l’utilisation des sols. Toute production dépend en fin de compte de la connaissance et de l’énergie, or il n’existe pas de limite à la connaissance humaine, ni à l’énergie que le soleil nous offre.
Mais bien que les avancées technologiques rapides constituent notre meilleur espoir à long terme pour atténuer le changement climatique, Greta Thunberg a en partie raison aujourd’hui. Le niveau de vie dans les pays riches soulève une menace à la fois de changement climatique catastrophique et de destruction des environnements locaux. C’est pourquoi le choix responsables des consommateurs ont également leur importance. Nous devrions effectivement moins prendre l’avion, nous déplacer davantage à vélo, et consommer moins de viande rouge. Nous devrions également mettre en place le plus rapidement possible les flux financiers massifs – issus des États, des entreprises et des individus – nécessaires pour stopper la déforestation avant qu’il ne soit trop tard.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
LONDRES – Pour surmonter la menace catastrophique que fait peser le réchauffement climatique sur le bien-être humain, certains appellent à un changement radical dans nos comportements – cesser de prendre l’avion, se déplacer à vélo, renoncer à la viande rouge. D’autres pensent que les nouvelles technologies permettront d’atteindre une croissance neutre en carbone. Qui a raison ? Greta Thunberg, partisane du premier des deux choix, ou Bill Gates, qui privilégie la seconde voie dans son dernier livre ?
Sur le long terme, l’optimisme autour des technologies semble justifié. Selon deux rapports récents de la Commission sur les transitions énergétiques, l’électricité et l’hydrogène zéro carbone, qui représentent seulement 20 % de la consommation d’énergie, pourraient en représenter 75 % d’ici le milieu du siècle, sachant que l’énergie propre de demain sera moins coûteuse que l’énergie polluante d’aujourd’hui. L’électricité solaire coûte d’ores et déjà moins cher que l’électricité au charbon, de même que le prix des batteries a fortement chuté, et continuera de diminuer. Le coût de production d’hydrogène par électrolyse est également voué à s’effondrer dans les dix prochaines années.
Un accroissement massif de la production mondiale d’électricité sera nécessaire pour passer de 27 000 térawattheures aujourd’hui à 100 000 TWh d’ici 2050. La capacité totale de batteries est vouée à grimper en flèche, et des investissements considérables devront être effectués dans le développement des réseaux de transmission et de distribution.
D’abondantes ressources naturelles existent néanmoins en appui de l’électrification « verte ». Chaque jour, le soleil fournit 8 000 fois le volume d’énergie dont a besoin l’ensemble de la population planétaire pour bénéficier d’un niveau de vie élevé. Même si la totalité des 100 000 TWh d’électricité provenait de ressources solaires (sans faire intervenir l’éolien), il nous suffirait de recouvrir de panneaux photovoltaïques environ 1 % de la surface terrestre.
Il n’existe pas non plus de risque de pénurie concernant les principaux minerais nécessaires. Deux milliards de voitures électriques, chacune équipée d’une batterie de 60 kilowattheures, nécessiteraient un stock de 15 millions de tonnes de lithium pur, stock qui une fois mis en place pourrait être recyclé à l’infini. Les ressources planétaires actuelles de lithium s’élèvent à 80 millions de tonnes. Les réserves de nickel, de cuivre et de manganèse sont également abondantes, et les inquiétudes autour des ressources de cobalt ont conduit à des avancées technologiques qui rendent désormais possibles les batterie zéro cobalt.
Pour tout ce qui fait intervenir la conversion de photons en électrons, et d’électrons en ce que les physiciens appellent « travail » (pour les moteurs par exemple) ou en chaleur (ou froid), il n’existe à long terme pas de limite planétaire au mode de vie humain. D’ici 2060, nous pourrons sans plus culpabiliser bénéficier du transport aérien, du chauffage et de la climatisation, ainsi que de la croissance économique.
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Néanmoins, et pour deux raisons, nous risquons encore un désastre potentiel, les chances se réduisant par ailleurs de parvenir à limiter le réchauffement planétaire « bien en dessous des 2°C », tel que promis par l’accord climatique de Paris en 2015.
Premièrement, nous avons désespérément tardé à agir. Si les pays riches s’étaient engagés en 1990 à atteindre une économie zéro carbone en 2030, nous nous approcherions d’ores et déjà de cet objectif, et le réchauffement climatique ralentirait. Mais nous ne l’avons pas fait, et au stade auquel nous nous trouvons actuellement, il nous faudrait idéalement réduire nos émissions de dioxyde de carbone de 50 % dans les 10 prochaines années.
Accomplir une réduction d’une telle ampleur est beaucoup plus difficile qu’atteindre le zéro émission d’ici le milieu du siècle. Même si toutes les automobiles vendues en 2030 étaient électriques, la plupart des voitures circulant sur les routes seraient encore à combustion interne, et continueraient de libérer du CO2 via leurs pots d’échappement. Et même si toute la croissance de la production d’électricité est aujourd’hui issue de sources zéro carbone, la fermeture des centrales à charbon existantes en Inde et en Chine nécessitera du temps.
La deuxième menace résulte de nos systèmes d’alimentation et d’utilisation des terres. Le défi réside moins dans la quantité d’énergie que nous consommons sous forme alimentaire, mais dans l’inefficience avec laquelle nous produisons nos aliments. Si les neuf milliards d’habitants de la planète absorbaient tous en 2050 une quantité adéquate de 2 200 calories par jours, nous aurions pour cela besoin de 7 400 TWh d’énergie, soit seulement 6 % environ de notre probable consommation énergétique non alimentaire.
Mais si nous pouvons recourir à l’électricité propre pour couvrir l’essentiel de nos besoins de chauffage, de climatisation, d’industrie et de transport, il nous est impossible de remplacer par des électrons les protéines et glucides présents dans notre alimentation. Nous produisons davantage nos aliments à partir de la photosynthèse des plantes, qui est beaucoup moins efficiente que la conversion de photons en électrons dans un panneau solaire.
Les recherches du World Resources Institute révèlent que les cannes à sucres les plus rapidement croissantes, sur des terres tropicales fertiles, ne transforment que 0,5 % du rayonnement solaire en énergie alimentaire consommable. Par opposition, un parc solaire peut atteindre une efficience de 15 %, vouée à augmenter au fil des avancées technologiques. Et lorsque l’estomac d’un bœuf transforme les protéines des plantes en viande, nous perdons plus de 90 % de l’énergie assimilée.
Résultat, la production d’aliments et de fibres constitue de loin la principale cause de déforestation tropicale. Aux côtés des émissions de méthane issues du bétail, ainsi que des émissions de protoxyde d’azote issues des engrais, la déforestation représente 20 % des émissions de gaz à effet de serre, et menace d’engendrer des boucles de rétroaction vouées à accélérer le réchauffement climatique.
À long terme, les nouvelles technologies résoudront probablement ce problème également. Les viandes synthétiques produites grâce à une biologie de précision nécessitent 10 à 25 fois moins de terres que la production animale, et si ces procédés synthétiques deviennent plus efficients, ce qui ne sera pas possible chez l’animal, leurs coûts finiront par diminuer. D’ici le milieu du siècle, Bill Gates pourrait avoir vu juste, et Greta Thunberg s’être montrée trop pessimiste, même concernant l’alimentaire et l’utilisation des sols. Toute production dépend en fin de compte de la connaissance et de l’énergie, or il n’existe pas de limite à la connaissance humaine, ni à l’énergie que le soleil nous offre.
Mais bien que les avancées technologiques rapides constituent notre meilleur espoir à long terme pour atténuer le changement climatique, Greta Thunberg a en partie raison aujourd’hui. Le niveau de vie dans les pays riches soulève une menace à la fois de changement climatique catastrophique et de destruction des environnements locaux. C’est pourquoi le choix responsables des consommateurs ont également leur importance. Nous devrions effectivement moins prendre l’avion, nous déplacer davantage à vélo, et consommer moins de viande rouge. Nous devrions également mettre en place le plus rapidement possible les flux financiers massifs – issus des États, des entreprises et des individus – nécessaires pour stopper la déforestation avant qu’il ne soit trop tard.
Traduit de l’anglais par Martin Morel