micossi11_Boris Roesslerpicture alliance via Getty Images_ecb Boris Roessler/picture alliance via Getty Images

Que faire de la dette souveraine de la zone euro ?

ROME / EDIMBOURG – La zone euro a besoin d'une nouvelle politique commune pour gérer les dettes souveraines accumulées par les États membres en réponse à la pandémie. La Banque centrale européenne détient actuellement une part importante de ces dettes, mais elle devra s’en défaire lorsque les considérations de politique monétaire le justifieront.

Chaque fois que ce processus commence, il peut provoquer des turbulences sur les marchés financiers de la zone euro. Cela, à son tour, augmenterait le coût du roulement de la dette publique, soulevant le spectre de l'instabilité systémique dans un secteur bancaire qui aura déjà été affaibli par une nouvelle vague de prêts improductifs.

En raison de ces préoccupations, la dette publique détenue par la BCE devrait être maintenue indéfiniment hors des marchés financiers, en demandant au Mécanisme Européen de Stabilité (MES) d'acheter des titres publics détenus par la BCE au moyen de fonds générés par l'émission de ses propres titres d’endettement en euros. Cela peut être fait sans aucune modification du traité MES et sans enfreindre les restrictions du traité sur la mutualisation de la dette.

Le ratio dette souveraine sur PIB moyen de la zone euro devrait atteindre 102%, avec sept pays proches de 120% ou au-delà (l'Italie est à 160% et la Grèce est au-dessus de 200%). Avec une croissance annuelle nominale d'environ 3% (en supposant que l'inflation revienne bientôt à 2%), ramener ces ratios d'endettement à 60% en 20 ans – comme l'exige le Pacte de Stabilité et de Croissance (qui est actuellement suspendu) – obligerait ces pays à générer des excédents primaires importants, de l’ordre de 2 à 4% du PIB.

Mais étant donné la nécessité de continuer à soutenir la reprise, le remède traditionnel de restriction budgétaire pour rembourser la dette souveraine ne serait pas compatible avec la viabilité de la dette. De plus, cela limiterait la capacité des États membres à empêcher que les blessures économiques et sociales infligées par la pandémie ne deviennent des cicatrices permanentes. Et la restructuration de la dette n'est pas non plus une option viable, car elle ferait des ravages dans les économies des pays très endettés, mettant potentiellement en péril la stabilité économique et financière de la zone euro.

En fin de compte, il n’est donc pas possible de laisser les Etats membres gérer seuls l'accroissement actuel de l'endettement souverain. Étant donné que les problèmes politiques soulevés affectent tous les membres, ils doivent être traités collectivement.

SPRING SALE: Save 40% on all new Digital or Digital Plus subscriptions
PS_Sales_Spring_1333x1000_V1

SPRING SALE: Save 40% on all new Digital or Digital Plus subscriptions

Subscribe now to gain greater access to Project Syndicate – including every commentary and our entire On Point suite of subscriber-exclusive content – starting at just $49.99.

Subscribe Now

Au début de 2021, les avoirs souverains de la BCE dépassaient les 3 billions d'euros (3,6 billions de dollars) – soit environ 30% de l'encours total de la dette souveraine de la zone euro et à peu près la même part du PIB de la zone euro. Les programmes de riposte à la pandémie en cours pourraient bien ajouter 1,5 billions d'euros supplémentaires à terme.

Si ces dettes ne sont pas renouvelées à l'échéance, les conditions de liquidité pourraient se resserrer du fait que les États membres placent des titres équivalents sur les marchés financiers. Pour assurer la résilience financière de la zone euro et éviter que les pays très endettés ne soient acculés contre le mur, ces dettes souveraines devraient être tenues à l'écart des marchés de capitaux pendant une période plus longue que ne le justifie de pures considérations de politique monétaire. Il est absurde de penser que le refinancement de la dette COVID-19 devrait être soumis à une discipline de marché, car cela reviendrait à pénaliser les gouvernements pour avoir protégé leurs citoyens pendant la pandémie.

En d'autres termes, c’est la stabilité financière, et non la politique monétaire, qui constitue la principale raison d'intervenir et de gérer l'encours des dettes souveraines de la zone euro. La tâche ne saurait être confiée en permanence à la BCE sans brouiller la ligne entre politique monétaire et politique budgétaire, comme l’ont établi la Cour de justice de l’UE dans les arrêts Gauweiler et autres et Weiss et autres. C'est pourquoi nous proposons une nouvelle facilité de crédit pour permettre au MES d'acquérir progressivement les dettes souveraines détenues par la BCE, et de les renouveler indéfiniment.

Dans le cadre de cet arrangement, le risque souverain ne serait pas transféré au MES, mais resterait plutôt dans les bilans des banques centrales nationales. Le MES évoluerait en une agence de gestion de la dette de la zone euro et, puisque le coût du remboursement ne serait pas transféré au MES, il n'y aurait aucun risque de violer la clause de non-sauvetage du Traité européen.

Pour financer ses achats souverains, le MES émettrait ses propres titres d’endettement, qui seraient garantis par son portefeuille souverain, ses vastes capitaux et les États membres du MES. La facilité établirait ainsi une base adéquate pour un assurer un marché large, profond et liquide d’échange de ce nouvel actif européen sans risque.

Les achats du MES se poursuivraient aussi longtemps que nécessaire pour ramener la dette souveraine détenue par les investisseurs privés dans la zone euro à un niveau moyen inférieur à 75% du PIB – un ratio d'endettement qui pourrait être fixé (en modifiant le protocole du traité sur les procédures de déficit excessif) comme le nouveau niveau de dette sur PIB de référence.

La facilité serait créée en vertu de l'article 14 (relatif à l'assistance financière de précaution) du Traité MES révisé. En conséquence, la conditionnalité macroéconomique attachée à l'assistance financière du MES en vertu de l'article 12 du traité ne s'appliquerait pas. Au lieu de cela, il devrait y avoir une conditionnalité légère exigeant le respect de critères généraux d'éligibilité suffisants pour assurer la stabilité financière de la zone euro. Naturellement, une condition préalable à l'acceptation de notre programme est que le PSC soit réformé pour établir un régime de discipline budgétaire plus crédible.

Une fois mise en œuvre, notre proposition permettrait à la BCE de retrouver son indépendance. Ses décisions de politique monétaire ne seraient plus limitées par la nécessité de maintenir des conditions stables sur les marchés européens de la dette souveraine. Mieux encore, l'émission de grandes quantités de titres sans risque libellés en euros soulagerait la pression sur les taux d'intérêt du Bund allemand et d'autres titres de créance « refuges » sur les marchés financiers des États membres.

Trouver un moyen de gérer la montagne de dette accumulée par la zone euro pendant la pandémie pourrait stabiliser les anticipations de croissance et créer un environnement favorable aux investissements du secteur privé. Permettre au MES d'acheter à la BCE toute la dette COVID-19 de la zone euro de la manière que nous proposons peut offrir une solution permanente et crédible à ce qui, sinon, menace de devenir un problème épineux à long terme.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

https://prosyn.org/2dFaJJrfr