zsahmed1_BRENDAN SMIALOWSKIAFP via Getty Images_ahmed georgieva BRENDAN SMIALOWSKI/AFP via Getty Images

Mettre la finance du développement au service de l'Afrique

ABUJA – Si la pandémie de la COVID-19 a démontré notre interdépendance et la multitude de maillons qui nous lient, l’invasion de la Russie en Ukraine et ses conséquences économiques ont aussi fait ressortir l’évidence qu’aucun pays ou qu’aucune région ne peut faire cavalier seul. Tous les pays sont intégrés — politiquement et par les liens du commerce et de l’investissement — dans l’économie mondiale.

Compte tenu de cette prise de conscience de plus en plus répandue, les responsables politiques de partout dans le monde repensent leur stratégie de développement durable et réexaminent le rôle des banques multilatérales de développement (les BMD). Bien sûr, ces institutions sont encore pertinentes. On peut toutefois se demander si elles sont encore adaptées à leur mission sous leur forme actuelle.

Pour déterminer comment les BMD peuvent mieux venir en appui aux pays en développement, examinons les difficultés du Nigeria, où j’ai occupé les fonctions de ministre des Finances, du Budget et de la Planification de 2019 à 2023. Pendant la pandémie, un plus grand nombre des Nigérians ont basculé dans la pauvreté et l’économie s’est mise à vaciller. La rupture des chaînes logistiques mondiales a fait chuter les cours du pétrole brut, le plus important produit d’exportation du Nigeria, faisant basculer la plus importante économie de l’Afrique en récession. L’économie a rebondi après une série de réformes, mais l’invasion de la Russie en Ukraine nous confronte maintenant aux hausses majeures dans le prix des aliments, du carburant et des engrais.

Le Nigeria doit aussi composer avec des pressions sur son budget, exacerbées par les plus faibles revenus non pétroliers de tout temps et une conjoncture économique mondiale défavorable. Une part importante des revenus du pays sert à assurer le service de la dette et la hausse des taux d’intérêt pousse les coûts de service de la dette à un niveau encore plus élevé. Dans ce contexte, le plus grand défi est de remettre l’économie du pays sur ses rails et de veiller à ce que ses citoyens vivent dans la dignité.

Les multilatérales, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ont été créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour contribuer à la réduction de la pauvreté et à la promotion de la croissance économique dans les pays en développement. Sept décennies plus tard, ces institutions ont, comme il se doit, assuré une aide financière et satisfait certains critères de développement. Mais le monde est encore aux prises avec la pauvreté, la maladie et la famine.

Les dirigeants de la Banque mondiale et autres BMD doivent poursuivre les réformes systémiques pour remplir leur mandat. Certes, les BMD ont joué un rôle important dans les pays à faible et moyen revenu et elles continueront de le faire. Mais nous sommes maintenant confrontés à la réalité que les problèmes d’aujourd’hui ne peuvent être réglés par des solutions périmées. Le cadre géopolitique actuel et les conditions économiques et financières qui en découlent nécessitent des changements fondamentaux dans ces institutions, pour qu’elles soient plus en mesure d’intervenir en cas de crises successives multiples.

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Autrement dit, les pays africains sollicitent des partenariats de développement, et non l’aumône ou de l’aide. Au Nigeria, nous avons demandé du financement à plus longue échéance des BMD pour faire face à la tourmente actuelle. Ces banques pourraient également faciliter les partenariats entre les investisseurs privés et les entreprises africaines locales pour stimuler la croissance économique et la création d’emplois. Le Nigeria a déjà fait preuve d’une résilience remarquable ; le pays a maintenant besoin d’aide pour concrétiser son potentiel économique dans le cadre d’un développement porteur qui apporte des avantages à ses citoyens.

Les pays africains doivent travailler de concert avec la communauté mondiale pour sortir le continent de la pauvreté. Mais ils doivent également consacrer leurs efforts à mieux tirer parti de leurs abondantes ressources et de leur population jeune et dynamique. Une avenue sur laquelle nous nous sommes déjà engagés consiste à promouvoir le commerce intra-africain par l’entremise de la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA). Fort de plus d’un milliard d’habitants, l’Afrique peut constituer son propre marché, mais seulement si les entraves au commerce sont éliminées. Le Nigeria, par exemple, pourrait libérer ses capacités de fabrication industrielle et d’exportation, engrangeant ainsi des devises étrangères, attirant les investissements et devenant plus concurrentiel mondialement. L’AfCFTA organise déjà un forum où se réunissent les entrepreneurs nigérians pour renforcer les partenariats avec les entreprises d’autres pays.

Avec les bons investissements et des politiques économiques judicieuses, l’Afrique peut surmonter ses difficultés et elle ne manquera pas de le faire. Elle doit le faire non seulement pour sa propre survie, mais aussi pour le bon fonctionnement d’une économie mondiale interdépendante. Des crises multiples — de la pandémie à la guerre en Ukraine en passant par les effets de plus en plus intenses des changements climatiques — ont fait ressortir les lacunes des banques multilatérales de développement tout en suscitant des appels aux réformes. À moins de bâtir sur l’impulsion découlant de ces catastrophes, elles nous engloutiront tous.

Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier

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