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Face aux défis mondiaux, la communauté internationale doit faire mieux

LONDRES – Il y a presque 80 ans, lors de son discours d'ouverture de la Conférence de Bretton Woods, le secrétaire américain au Trésor Henry Morgenthau a rappelé aux participants que c'est le manque de coopération internationale qui a conduit à la Grande dépression, aux fractures sociales, et finalement à la guerre. "Comme la paix, la prospérité est indivisible. Nous ne pouvons pas nous permettre de l'abandonner entre les mains de plus fortunés… La pauvreté, où qu'elle soit, est une menace pour nous tous".

Ce message est toujours d'actualité. Face aux défis mondiaux, la coopération internationale est indispensable. Une grande partie du monde en développement est exclue de la prospérité, la grande pauvreté augmente, les progrès réalisés dans le domaine de la santé, de l'éducation et de l'alimentation sont menacés. Les inégalités économiques obscènes entre les différents pays, et en leur sein, se creusent. Il sera bientôt trop tard pour éviter une catastrophe climatique. Pourtant un excès de confiance, des rivalités mesquines et le repliement nationaliste paralysent la coopération multilatérale.

Ainsi en avril dernier, la semaine de réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale aurait pu être l'occasion de mobiliser les capitaux nécessaires pour éviter une régression sur le chemin des Objectifs de développement durables 2030 (l'Agenda 2030 de développement durable). Mais les représentants des Etats occidentaux et du G20 se sont contentés d'échanger des platitudes, et la semaine s'est conclue sur un ensemble de déclarations aussi vagues qu'incohérentes.

Nous ne pouvons pas nous permettre des échecs de leadership de cette ampleur. Le FMI et la Banque mondiale, les deux piliers du système de Bretton Woods, devraient être au cœur de la coopération internationale pour répondre aux grands défis auxquels notre génération est confrontée - à commencer par la sortie à deux vitesses de la crise liée au COVID-19.

Contrairement aux pays avancés qui se sont redressées grâce à d'importants financements publics et à des programmes de vaccination de grande ampleur, beaucoup de pays en développement sont encore en difficulté. Leur croissance a ralenti, leurs recettes fiscales ont diminué et deux tiers des pays à faible revenu sont surendettés ou risquent de l'être. Selon le FMI, les pays pauvres auront besoin de 450 milliards de dollars supplémentaires pour retrouver leur trajectoire de développement telle qu'elle était avant la pandémie.

Les difficultés budgétaires limitent la capacité des Etats à conserver leur avancée en terme de développement humain. La pandémie a fait basculer près de 100 millions de personnes dans l'extrême pauvreté. Ce chiffre est appelé à augmenter du fait de la réduction de la protection sociale et la guerre de la Russie en Ukraine qui alimente l'inflation des prix alimentaires. Ce dernier facteur augmente le risque de malnutrition, voire de famine, dans certaines régions du monde. Une quarantaine de 40 pays pauvres dépensent davantage pour le service de leur dette que pour la santé publique. Les budgets de l'éducation sont réduits alors que l'éducation de millions d'enfants parmi les plus défavorisés dans le monde a été lourdement affectée par les fermetures d'écoles dues à la pandémie.

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Dans ce contexte inquiétant, la coopération internationale visant à financer la reprise de l'Agenda 2030 revêt une nouvelle urgence. L'OCDE estime que le déficit de financement de cet Agenda (déjà important avant la pandémie) s'est creusé de 1200 milliards de dollars supplémentaires. Ce chiffre n'inclut pas l'investissement de 2 000 milliards de dollars par an jusqu'en 2030 en faveur des énergies renouvelables dans les pays en développement afin d'atteindre les objectifs de l'accord de Paris sur le climat de 2015.

Lorsque les Etats se sont engagés dans l'Agenda 2030 il y a 7 ans, ils ont promis une approche innovante du financement du développement qui transformerait les "milliards en milliers de milliards". Les architectes du système de Bretton Woods ont créé un véhicule pour y parvenir : les banques multilatérales de développement (BMD).

Conçues pour soutenir à la reconstruction de l'Europe après la guerre, ces banques (la Banque mondiale et ses homologues régionaux) incarnent un modèle financier simple et efficace. Avec de petits montants de capital versé soutenus par des garanties étatiques beaucoup plus importantes (le capital exigible), les BMD peuvent utiliser leur note de crédit AAA pour émettre des obligations à faible taux d'intérêt afin de prêter aux pays en développement. Elles mobilisent donc des fonds privés au profit d'investissements publics. La Banque mondiale, la plus grande de ces banques, ne dispose que de 19 milliards de dollars de capital versé et de 278 milliards de dollars de capital exigible.

Le financement multilatéral est porteur d'effets multiplicateurs très supérieurs à ceux de l'aide bilatérale. Chaque dollar investi dans la Banque mondiale par le biais du capital versé suscite 4 dollars de nouveaux financements. Pourtant le système des BMD est peu utilisé. Lors de la pandémie, si ce n'est par son mécanisme de prêts à taux réduit (l'Association internationale de développement), la Banque mondiale a joué un rôle secondaire dans l'aide aux pays en développement. Quant au  portefeuille de financement des BMD pour les interventions climatiques dans les pays à revenu faible et intermédiaire, il ne s'élève qu'à 38 milliards de dollars - une fraction de la somme nécessaire.

Les BMD (notamment la Banque africaine de développement) sont sous-capitalisées, néanmoins le problème majeur réside dans le profond conservatisme de la gouvernance financière. Leurs principaux actionnaires (les pays européens et les USA) refusent que les garanties en matière de capital exigible soient intégrées aux opérations de prêt. Les chercheurs du groupe de réflexion Overseas Development Institute estiment que la modification de cette règle permettrait de mobiliser 1300 milliards de dollars supplémentaires, avec des conséquences mineures sur la notation de crédit et le coût des emprunts.

S'exprimant lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, la secrétaire d'État américaine au Trésor, Janet Yellen, a déploré l'incapacité des BMD à réunir les milliers de milliards de dollars nécessaires à la reprise après la pandémie, et pour l'instant le gouvernement américain n'a pas révisé les règles concernant le capital exigible.

D'autres tentatives d'innovation se sont heurtées au mur de la bureaucratie. Gordon Brown, l'envoyé spécial de l'ONU pour l'éducation mondiale, a proposé un système de modestes subventions et de garanties qui aurait permis de débloquer 10 milliards de dollars, multipliant ainsi par 2 les sommes consacrés par les BMD à l'éducation. Pourtant, alors que la crise du système éducatif est sans précédent, les donateurs n'ont pas agi.

C'est là une mascarade du système de Bretton Woods. Dans une défense inappropriées de leur notation de crédit AAA, les BMD refusent les solutions qui soutiendraient la reprise, éviteraient des régressions dévastatrices en matière de développement humain, et sont porteuses d'espoir pour des millions d'enfants.

Malheureusement les BMD ne sont pas seules à être paralysées. 9 mois après l'engagement des pays du G20 à allouer 100 milliards de dollars de la nouvelle émission de droits de tirage spéciaux du FMI (DTS, l'actif de réserve du Fonds) aux pays pauvres, ces derniers n'ont pas reçu le moindre centime. Par contre le service de la dette devant augmenter de 45% cette année (essentiellement au bénéfice des créanciers commerciaux et de la Chine), des investissements cruciaux sont remis à plus tard et le risque de défauts souverains désordonnés augmente.

La Banque mondiale et le FMI conservent un système de gouvernance anachronique. Par ailleurs, la crise déclanchée par le COVID-19 s'étant aggravée, certains commentateurs appellent à la création d'un nouveau système de Bretton Woods. Ils n'ont pas tort. Mais ce n'est pas tant l'architecture financière qui fait défaut pour répondre aux défis de développement humain d'aujourd'hui, que le sens de l'urgence, d'un objectif commun et de l'esprit de coopération qui caractérisait la Conférence de Bretton Woods.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

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