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Oui, la crypto-monnaie reste utile

WASHINGTON, DC – Sans Uber, de nombreux services de taxi auraient-ils développé leurs propres applications de transport par taxi ou commencé à accepter les cartes de crédit au moment où ils l'ont fait ? Les secteurs statiques où la concurrence est faible ont besoin de nouveaux concurrents et de nouvelles technologies pour pousser au changement. De plus, s'ils sont bien gérés, ces changements ne menacent même pas nécessairement les opérateurs historiques, car ces derniers peuvent adopter les nouvelles technologies et les nouveaux modèles commerciaux pour suivre le rythme de ce que les consommateurs attendent des nouveaux arrivants.

Les services bancaires et financiers sont aujourd’hui confrontés à ces mêmes forces. Tout comme Uber et Lyft ont créé un nouveau modèle de mobilité à la demande pour les consommateurs, le monde émergent des services financiers basés sur la blockchain a propulsé les services bancaires et les paiements centrés sur les appareils mobiles, ainsi que les marchés financiers alimentés par des logiciels. Si les services bancaires mobiles et électroniques existent depuis un certain temps, l'émergence de la crypto-monnaie permet d'atteindre de nouveaux niveaux de contrôle et d'accès pour l'utilisateur, sans avoir besoin d’autre chose qu'un portefeuille numérique personnel.

En fin de compte, les consommateurs sont gagnants lorsqu'il y a plus de choix. Lorsque les taxis traditionnels avaient le monopole, ils passaient souvent à côté des clients d'une certaine couleur ou refusaient de se rendre dans les zones "du mauvais côté des voies". Si les nouveaux entrants sur le marché n'avaient pas élargi l'accès à la mobilité et aux services financiers, ces pratiques seraient restées la norme.

De même, les déserts bancaires ont longtemps existé dans les zones qui n'avaient pas la densité de population ou les revenus des ménages suffisamment élevés pour être desservies par des agences bancaires traditionnelles. Pour de nombreuses personnes, même l'activité banale d'encaissement d'un chèque entraînerait encore des coûts sans l'arrivée des applications de dépôt mobile, ce qui montre comment, avec le temps, les technologies émergentes et les modèles économiques établis finissent par converger.

Alors que les entreprises fintech à croissance rapide ont brouillé les frontières entre les agences physiques et les services financiers, de nombreux commentateurs ont présenté cette convergence comme un jeu à somme nulle, dans lequel même les banques centrales sont susceptibles d'être détrônées par de nouvelles formes de monnaie numérique. Pourtant, l'explosion cambrienne des crypto-monnaies, des transactions basées sur la blockchain et des technologies financières doit être considérée comme une opportunité plutôt que comme une menace.

À l'heure actuelle, au moins 105 banques centrales, représentant 95 % du PIB mondial, examinent les mérites et les risques liés à la création de monnaies numériques de banque centrale (CBDC). Néanmoins, la course mondiale aux monnaies numériques qui compte n'est pas celle des valeurs qui sont transférées, mais celle des rails qui véhiculeront ces valeurs entre les parties, notamment au-delà des frontières. Introduire une CBDC sans envisager ces rails reviendrait à concevoir un train à grande vitesse sans construire les voies ou le réseau de gares.

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Même à l'ère de la connectivité généralisée des smartphones, les paiements et les transferts interbancaires (le train) devront toujours faire des arrêts réguliers pour tenir compte du risque de contrepartie, pour confirmer le règlement de la transaction, et ainsi de suite. Sans prévoir ces rôles d'intermédiaires, les CBDC ne feraient qu'accélérer l'élimination des banques de taille moyenne (qui deviendraient totalement redondantes), tout en ne faisant rien pour combler le fossé béant de l'inclusion financière dans le monde. C'est là que les services bancaires basés sur la blockchain pourraient laisser leur empreinte.

En l'état actuel des choses, les banques sont souvent soumises à la mainmise d'un petit nombre de fournisseurs de technologie "autorisés" qui gèrent les opérations de back-office, de middle-office et de front-office. De nombreuses banques sont ainsi à la merci d'institutions d'importance systémique qui se cachent au grand jour (aux États-Unis, les fournisseurs de services de paie font partie de cette catégorie). C'est la dépendance des petites et moyennes banques à l'égard de ces technologies propriétaires, analogiques et vulnérables qui les place dans une position perdante face aux plus grandes banques, faisant ressembler leurs modèles économiques à des taxis non évolués après l'arrivée des applications de réservation de VTC. 

JPMorgan Chase, en revanche, dispose d'un budget de transformation numérique de 12 milliards de dollars et d'une équipe en charge de la blockchain très compétente (Onyx) qui a déjà traité des paiements de la terre vers des satellites en utilisant la technologie des contrats intelligents – un exploit qui souligne l'importance des rails de transfert sous-jacents. Autrefois l'un des plus grands détracteurs de la crypto-monnaie, JPMorgan a reconnu combien il serait périlleux de rejeter une nouvelle technologie potentiellement transformatrice.

Pourtant, de nombreuses questions demeurent. Les institutions moins bien dotées financièrement et technologiquement peuvent-elles suivre le rythme ? Comment les banques et le secteur bancaire s'adapteront-ils à un avenir de transferts transfrontaliers instantanés, tous facilités par un code de confiance ? L'émergence d'une infrastructure de marché financier à code source ouvert sera-t-elle une source de perturbation et de désintermédiation qui finira par supplanter tout le reste, ou ces technologies ne feront-elles que niveler le terrain de jeu ?

Il ne fait aucun doute que la crypto-monnaie et la blockchain ont un problème marketing, notamment parce qu'elles sont associées à un lexique très technique et à un jargon impénétrable. Mais, un jour ou l'autre, la technologie sous-jacente sera reléguée à l'arrière-plan, où elle alimentera une mise à niveau à grande échelle du système des rails qui transportent la valeur dans le monde. Le changement portera sur l'optionnalité du système de paiement et du système bancaire, et non sur leur substitution.

Les chèques personnels n'ont pas remplacé la monnaie papier. Ils ont plutôt ajouté de la valeur en donnant aux gens la possibilité de fixer une date d'expiration pour les paiements, tout en offrant une plus grande sécurité que le transport d'espèces. Ce qui est peut-être encore plus important, c'est qu'ils améliorent également l'interopérabilité du système financier grâce aux normes relatives aux numéros d'acheminement et de compte.

De la même manière, les futurs numéros d'acheminement et de compte résideront dans des portefeuilles numériques offrant un accès mondial quasi omniprésent à des services financiers bien réglementés et disponibles en permanence. Certains appellent cela l'internet de la valeur, d'autres l'appellent la troisième génération de l'internet ou Web3. Quels que soient son surnom et les hauts et les bas que connaitront le marché, cette innovation de rupture est là pour rester.

Cette innovation doit être encouragée, développée et exploitée, y compris par les entreprises de services financiers traditionnels et les gouvernements du monde entier, sans quoi ces acteurs risquent de se retrouver relégués dans l'histoire lorsque les Amazons du Web3 émergeront.

Traduit de l’anglais par Timothée Demont

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