DHAKA/LONDRES – Le monde fonce à toute vitesse sur une voie extrêmement dangereuse. Ou, comme l’a dit le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, « Nous sommes sur une route vers l'enfer climatique, avec le pied sur l'accélérateur ». Toutefois, le réchauffement planétaire n’est pas juste une autre question politique : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) est un impératif existentiel qui ne peut être ignoré.
Il n'y a pas de mots assez forts pour décrire l’urgence de la situation. Alors que de nombreux pays sont confrontés aux effets dévastateurs du changement climatique, il est essentiel d’agir en se fondant sur le consensus scientifique : limiter le réchauffement climatique à +1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels – l’objectif fixé par l’Accord de Paris sur les changements climatiques de 2015 – implique de cesser immédiatement d’investir dans les nouveaux projets d’énergies fossiles.
Hélas, les émissions ne sont pas réduites à la vitesse et à l’échelle nécessaires pour limiter le réchauffement planétaire, ce qu’ont souligné de récent événements, notamment
l’Assemblée générale des Nations unies et la Semaine du climat de New York en septembre dernier. En dépit des fréquentes promesses de solidarité faites par les dirigeants mondiaux dans le cadre de l’action climatique, l’approche du statu quo continue de prévaloir dans de nombreux pays. L’administration américaine a par exemple donné son feu vert au projet pétrolier géant Willow en Alaska, tandis que le Brésil envisage des forages exploratoires près de l’embouchure de l’Amazone. L’attrait de gains à court terme l’emporte manifestement sur les craintes des décideurs politiques concernant les dommages environnementaux irréversibles.
Paradoxalement, plusieurs des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique – et pour lequel ils sont aussi le moins responsable – en font plus que leur part pour atteindre l’objectif de 1,5°C. Cette année, lors d’un référendum historique, les Équatoriens ont voté en faveur de la fin de l'exploitation du gisement pétrolier du parc national Yasuni, qui fait partie de la forêt tropicale amazonienne. Et en 2018, le Bélize est devenu le premier pays à mettre en œuvre un moratoire permanent qui suspend toute activité d’exploration pétrolière offshore.
Ce décalage entre promesses et réalité est apparent dans le Global Solidarity Report 2023 (Rapport sur la solidarité mondiale 2023), publié par Global Nation, avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, Global Citizen, Glocalities et Goals House. Basé sur une analyse de la solidité et de la capacité de résistance de la communauté internationale, ce rapport brosse un tableau peu réjouissant. Plus inquiétant encore, une nouvelle mesure de la solidarité mondiale indique que le monde est dans une zone dangereuse, avec un score de 39 points seulement (sur 100, qui représente le niveau le plus élevé d’intérêts convergents ). Si le sentiment de solidarité entre les citoyens du monde est plus répandu qu’on ne le pense, la réponse institutionnelle a jusqu’à présent échoué à se montrer à la hauteur de la gravité de la situation.
Prenons le cas du Royaume-Uni. Environ 46 % des personnes interrogées dans ce pays s’accordent à dire qu’il faudrait « laisser les réserves de pétrole et de gaz dans le sol », contre seulement 17 % d’avis contraires. Pourtant, le gouvernement britannique a récemment donné son accord pour l'exploitation d'un énorme champ pétrolifère en mer du Nord. Une décision aussi dommageable et si peu de temps après l’adhésion du Royaume-Uni au Pacte de Glasgow sur le climat lors de la COP26 en 2021, souligne le déficit de confiance toujours croissant entre les gouvernements et leurs propres citoyens, ainsi qu'entre les pays.
Dans le même temps, le Bangladesh, qui ne contribue qu’à 0,46 % des émissions mondiales actuelles, a pris des mesures importantes pour s’affranchir des combustibles fossiles. Le gouvernement a décidé d’abandonner les projets de construction de dix centrales à charbon, représentant des investissements étrangers à hauteur de 12 milliards de dollars. La Première ministre Sheikh Hasina est devenue une source d’inspiration, exhortant ses concitoyens à se faire les leaders et les champions de l’action mondiale en faveur du climat, plutôt que les victimes passives de la crise climatique.
En outre, la majorité des neuf pays considérés comme proches de la réalisation de l’objectif de 1,5°C (selon Climate Action Tracker) se trouvent dans le monde en développement. Le Costa Rica, qui produit l’essentiel de son électricité à partir de sources renouvelables, fait partie de cette catégorie. Des politiques et des modèles de financement innovants ont permis au gouvernement de protéger les forêts et la biodiversité du pays.
De même, la Gambie a déjoué tous les pronostics en se classant parmi les pays « presque suffisant », c’est-à-dire qui atteignent presque les objectifs fixés par l’Accord de Paris, étant même pendant une courte période en 2021, le seul pays à respecter pleinement les dispositions de l’Accord. Malgré les problèmes liés à la sécheresse et à l’insécurité alimentaire ces dernières années, le gouvernement gambien a formulé une stratégie ambitieuse qui vise le zéro émission nette d’ici 2050, en mettant en place des systèmes alimentaires résistants au changement climatique, en préservant la biodiversité et ses zones côtières, en investissant dans le capital humain et en passant à une économie à faibles émissions.
Se conformer aux objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat n’est pas un rêve inaccessible ; comme l’ont démontré le Bangladesh et d’autres pays en développement, une détermination politique et une responsabilité morale sont nécessaires à cette fin. Il convient de souligner que près des deux-tiers des personnes interrogées dans le cadre du Global Solidarity Report conviennent que les institutions internationales devraient avoir le pouvoir de faire respecter les accords portant sur certains défis pressants, tel que la pollution de l’environnement.
Le déficit de confiance est le principal obstacle à la solidarité mondiale. Faire constamment fi des promesses faites engendre la méfiance et sape l’efficacité de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Il ne peut y avoir de solidarité sans confiance, ni de multilatéralisme sans solidarité.
Le changement climatique est une urgence à laquelle il faut répondre de manière décisive. La communauté internationale doit agir rapidement pour faire en sorte que les combustibles fossiles restent dans le sol, encourager le zéro émission nette et l’innovation et réaliser la transition juste. Il faut pour se faire que nous assumions notre responsabilité morale collective, au lieu de laisser la tentation de gains politiques et financiers nous mener à l’abîme. Et comme le sort de la planète est en jeu, une seule ligne de conduite s’impose.
DHAKA/LONDRES – Le monde fonce à toute vitesse sur une voie extrêmement dangereuse. Ou, comme l’a dit le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, « Nous sommes sur une route vers l'enfer climatique, avec le pied sur l'accélérateur ». Toutefois, le réchauffement planétaire n’est pas juste une autre question politique : réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) est un impératif existentiel qui ne peut être ignoré.
Il n'y a pas de mots assez forts pour décrire l’urgence de la situation. Alors que de nombreux pays sont confrontés aux effets dévastateurs du changement climatique, il est essentiel d’agir en se fondant sur le consensus scientifique : limiter le réchauffement climatique à +1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels – l’objectif fixé par l’Accord de Paris sur les changements climatiques de 2015 – implique de cesser immédiatement d’investir dans les nouveaux projets d’énergies fossiles.
Hélas, les émissions ne sont pas réduites à la vitesse et à l’échelle nécessaires pour limiter le réchauffement planétaire, ce qu’ont souligné de récent événements, notamment
l’Assemblée générale des Nations unies et la Semaine du climat de New York en septembre dernier. En dépit des fréquentes promesses de solidarité faites par les dirigeants mondiaux dans le cadre de l’action climatique, l’approche du statu quo continue de prévaloir dans de nombreux pays. L’administration américaine a par exemple donné son feu vert au projet pétrolier géant Willow en Alaska, tandis que le Brésil envisage des forages exploratoires près de l’embouchure de l’Amazone. L’attrait de gains à court terme l’emporte manifestement sur les craintes des décideurs politiques concernant les dommages environnementaux irréversibles.
Paradoxalement, plusieurs des pays les plus vulnérables au réchauffement climatique – et pour lequel ils sont aussi le moins responsable – en font plus que leur part pour atteindre l’objectif de 1,5°C. Cette année, lors d’un référendum historique, les Équatoriens ont voté en faveur de la fin de l'exploitation du gisement pétrolier du parc national Yasuni, qui fait partie de la forêt tropicale amazonienne. Et en 2018, le Bélize est devenu le premier pays à mettre en œuvre un moratoire permanent qui suspend toute activité d’exploration pétrolière offshore.
Ce décalage entre promesses et réalité est apparent dans le Global Solidarity Report 2023 (Rapport sur la solidarité mondiale 2023), publié par Global Nation, avec le soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, Global Citizen, Glocalities et Goals House. Basé sur une analyse de la solidité et de la capacité de résistance de la communauté internationale, ce rapport brosse un tableau peu réjouissant. Plus inquiétant encore, une nouvelle mesure de la solidarité mondiale indique que le monde est dans une zone dangereuse, avec un score de 39 points seulement (sur 100, qui représente le niveau le plus élevé d’intérêts convergents ). Si le sentiment de solidarité entre les citoyens du monde est plus répandu qu’on ne le pense, la réponse institutionnelle a jusqu’à présent échoué à se montrer à la hauteur de la gravité de la situation.
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Prenons le cas du Royaume-Uni. Environ 46 % des personnes interrogées dans ce pays s’accordent à dire qu’il faudrait « laisser les réserves de pétrole et de gaz dans le sol », contre seulement 17 % d’avis contraires. Pourtant, le gouvernement britannique a récemment donné son accord pour l'exploitation d'un énorme champ pétrolifère en mer du Nord. Une décision aussi dommageable et si peu de temps après l’adhésion du Royaume-Uni au Pacte de Glasgow sur le climat lors de la COP26 en 2021, souligne le déficit de confiance toujours croissant entre les gouvernements et leurs propres citoyens, ainsi qu'entre les pays.
Dans le même temps, le Bangladesh, qui ne contribue qu’à 0,46 % des émissions mondiales actuelles, a pris des mesures importantes pour s’affranchir des combustibles fossiles. Le gouvernement a décidé d’abandonner les projets de construction de dix centrales à charbon, représentant des investissements étrangers à hauteur de 12 milliards de dollars. La Première ministre Sheikh Hasina est devenue une source d’inspiration, exhortant ses concitoyens à se faire les leaders et les champions de l’action mondiale en faveur du climat, plutôt que les victimes passives de la crise climatique.
En outre, la majorité des neuf pays considérés comme proches de la réalisation de l’objectif de 1,5°C (selon Climate Action Tracker) se trouvent dans le monde en développement. Le Costa Rica, qui produit l’essentiel de son électricité à partir de sources renouvelables, fait partie de cette catégorie. Des politiques et des modèles de financement innovants ont permis au gouvernement de protéger les forêts et la biodiversité du pays.
De même, la Gambie a déjoué tous les pronostics en se classant parmi les pays « presque suffisant », c’est-à-dire qui atteignent presque les objectifs fixés par l’Accord de Paris, étant même pendant une courte période en 2021, le seul pays à respecter pleinement les dispositions de l’Accord. Malgré les problèmes liés à la sécheresse et à l’insécurité alimentaire ces dernières années, le gouvernement gambien a formulé une stratégie ambitieuse qui vise le zéro émission nette d’ici 2050, en mettant en place des systèmes alimentaires résistants au changement climatique, en préservant la biodiversité et ses zones côtières, en investissant dans le capital humain et en passant à une économie à faibles émissions.
Se conformer aux objectifs fixés par l’Accord de Paris sur le climat n’est pas un rêve inaccessible ; comme l’ont démontré le Bangladesh et d’autres pays en développement, une détermination politique et une responsabilité morale sont nécessaires à cette fin. Il convient de souligner que près des deux-tiers des personnes interrogées dans le cadre du Global Solidarity Report conviennent que les institutions internationales devraient avoir le pouvoir de faire respecter les accords portant sur certains défis pressants, tel que la pollution de l’environnement.
Le déficit de confiance est le principal obstacle à la solidarité mondiale. Faire constamment fi des promesses faites engendre la méfiance et sape l’efficacité de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Il ne peut y avoir de solidarité sans confiance, ni de multilatéralisme sans solidarité.
Le changement climatique est une urgence à laquelle il faut répondre de manière décisive. La communauté internationale doit agir rapidement pour faire en sorte que les combustibles fossiles restent dans le sol, encourager le zéro émission nette et l’innovation et réaliser la transition juste. Il faut pour se faire que nous assumions notre responsabilité morale collective, au lieu de laisser la tentation de gains politiques et financiers nous mener à l’abîme. Et comme le sort de la planète est en jeu, une seule ligne de conduite s’impose.