BRASILIA – Le populisme réactionnaire constitue aujourd’hui le principal obstacle dans la lutte contre le changement climatique. S’il n’est plus possible de nier de but en blanc le réchauffement de la planète, les politiciens populistes ne s’affirment pas moins sceptiques et temporisateurs – une nouvelle stratégie extrêmement insidieuse, qu’ils reprennent de plus en plus souvent à leur compte. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) signale que les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic d’ici trois ans pour que puisse être respecté l’objectif de réchauffement de 1,5° C au-dessus des niveaux préindustriels fixé par l’accord de Paris ; dès lors qu’elles entravent les politiques actives de lutte contre le changement climatique, les tactiques des populistes contemporains deviennent une menace existentielle.
Cette tendance est réversible, mais elle est tenace. Après que le précédent président des États-Unis, Donald Trump, a désavoué les engagements de l’Amérique pour le climat, l’administration Biden est parvenue à faire voter, en dépit d’une opposition résolue, une législation climatique qui fera date. Mais les esprits forts qui remettent en cause la question climatique n’en conservent pas moins de nombreuses occasions de nuire. Une enquête récente, publiée dans Nature, montre qu’une vaste majorité de l’opinion américaine soutient les mesures de lutte contre le changement climatique, mais que la plupart des sondés pensent que ces politiques n’ont l’appui que d’une minorité. Cette « fausse réalité sociale » promet de faire de la question climatique une pomme de discorde lors des élections de mi-mandat, en septembre.
Le cas du Brésil est peut-être plus emblématique encore, car le populisme réactionnaire menace d’y devenir la norme sous l’égide du président Jair Bolsonaro. Ce n’est pas un hasard que Steeve Bannon, ancien conseiller principal de Trump pour la stratégie, considère l’élection brésilienne comme un point d’inflexion pour le système international, « le scrutin le plus important au monde [après celui des États-Unis] », selon ses propres termes. Une rhétorique inspirée de celle de Bannon s’est beaucoup répandue ces dernières années dans de nombreux pays, empoisonnant le débat public sur l’immigration, les droits reproductifs et les vaccins, notamment.
Les dirigeants autoritaires sortants ou aspirant au pouvoir ont de nombreuses raisons de s’en prendre aux politiques de lutte contre le changement climatique, mais aucune de ces raisons n’est à proprement parler liée au climat. La première raison avancée tient au coût perçu de ces politiques. Même si l’on sait que la décarbonation et la construction d’une économie plus résiliente coûteront pour finir beaucoup moins cher que la facture d’une crise climatique hors de contrôle, les dépenses liées à ces politiques offriront toujours une bonne cible aux opportunistes et à leur mauvaise foi.
En outre, les populistes vont chercher à dénigrer les politiques mises en œuvre par les accords internationaux comme l’accord de Paris sur le climat, conclu en 2015, au prétexte qu’ils constituent un abandon de souveraineté. Que Nigel Farage, qui fut l’architecte du Brexit, agite désormais la menace d’un référendum sur la neutralité carbone à laquelle s’est formellement engagé le Royaume-Uni ne devrait surprendre personne.
C’est une même conception simpliste de la souveraineté nationale qui sous-tend le refus opposé par Bolsonaro à tout débat concernant l’Amazone dans les forums internationaux, alors même que le bassin du fleuve et sa forêt jouent le rôle d’un puits de carbone vital pour le reste du monde. C’est l’incapacité de Bolsonaro à combattre les activités criminelles en Amazonie qui permet la destruction gratuite de forêts, de rivières et de populations brésiliennes – notamment de groupes indigènes – et l’assassinat de défenseurs de l’environnement et de journalistes. Il considère, comme les autres populistes d’extrême droite, que l’exercice de la souveraineté consiste à revendiquer des droits tout en refusant d’endosser les responsabilités qui les accompagnent.
Soit cynisme, soit naïveté, les populistes refusent d’admettre que le renforcement des frontières nationales ne peut résoudre nos plus graves problèmes. C’est vrai du changement climatique et de la perte de la diversité du vivant comme c’est vrai, cette année, des crises énergétique et alimentaire, du Covid-19 et des souffrances croissantes causées par l’endettement. L’action politique en faveur du climat et le populisme réactionnaire pourraient ainsi constituer pendant des décennies un nœud inextricable, sur fond de perturbations climatiques, de creusement des inégalités et d’entailles de toutes parts et partout au contrat social.
Selon une étude récente menée dans 25 pays durant plus de dix ans, les partis populistes d’extrême droite ont eu un impact invariablement négatif sur l’ambition climatique, qui renforce encore la difficulté d’atteindre les objectifs fixés. Hôte du Sommet de la Terre en 1992, le Brésil avait autrefois la réputation d’un important bâtisseur de consensus dans les négociations multilatérales ; pourtant, en l’espace de quelques années, il en est venu à être associé à l’instabilité diplomatique et à la destruction de l’environnement.
Si nous voulons contrôler les effets de plus en plus destructeurs du changement climatique, l’intelligence collective doit prévaloir sur la division et la désinformation populistes. Certains pays montrent déjà la voie. Ainsi les électeurs australiens ont-ils mis un terme au gouvernement conservateur qui était devenu le plus obstiné des temporisateurs du G20. Et les électeurs slovènes ont refusé un second mandat au Premier ministre populiste en défaisant son parti dans les urnes et en accordant la majorité au parti écologiste Mouvement Liberté.
Le même message pourrait-il se faire entendre au Brésil ? Un sondage récent montre que 81 % des Brésiliens souhaitent que les candidats à la fonction présidentielle protègent l’Amazonie, et 65 % d’entre eux considèrent que cette protection est importante pour le développement économique. Plus de 90 % savent que des changements climatiques ont actuellement lieu et 75 % les attribuent à l’activité humaine.
Comme dans beaucoup d’autres pays du monde, les mouvements sociaux s’organisent au Brésil à une échelle qui est sans précédent. Des groupes venant d’Amazonie – représentant plus particulièrement des communautés traditionnelles, des femmes et des jeunes – mènent la charge, et d’autres, notamment des acteurs des secteurs privé et financier, les ont rejoints.
Bolsonaro, pendant ce temps, demeure hostile à toute ambition climatique ; à l’entendre, les inquiétudes environnementales ne seraient qu’une sinistre invention d’intérêts internationaux occultes. Le paradoxe est, bien sûr, que les populistes « antimondialistes » d’aujourd’hui s’appuient sur leurs réseaux transnationaux bien fiancés de propagandistes, de donateurs et de commis voyageurs. Comme le montre un récent reportage du New York Times, des entreprises hongroises du secteur de l’énergie ayant enregistré d’abondants profits grâce à la vente de pétrole russe ont fourni des sommes considérables à des associations caritatives qui partagent les intérêts politiques de la direction hongroise, d’où ces mêmes sommes ont ensuite alimenté des chaînes de radiotélévision et des leaders d’opinion conservateurs aux États-Unis.
Ce serait une catastrophe pour les sociétés ouvertes et les politiques actives de lutte contre le changement climatique que les priorités populistes parviennent à renverser les institutions internationales. Celles et ceux d’entre nous qui croient en la science, en la sagesse des communautés locales, qui croient au pouvoir de la diplomatie, ne doivent pas négliger la menace. Si le populisme devient la norme, il fera échouer les politiques actives de lutte contre le changement climatique au moment même où elles sont le plus nécessaires. La fenêtre d’intervention pour éviter des conséquences catastrophiques se referme. Les politiques climatiques sont devenues la cible privilégiée de populistes dont nous devons, nous autres, devenir les adversaires les plus déterminés.
Traduit de l’anglais par François Boisivon
BRASILIA – Le populisme réactionnaire constitue aujourd’hui le principal obstacle dans la lutte contre le changement climatique. S’il n’est plus possible de nier de but en blanc le réchauffement de la planète, les politiciens populistes ne s’affirment pas moins sceptiques et temporisateurs – une nouvelle stratégie extrêmement insidieuse, qu’ils reprennent de plus en plus souvent à leur compte. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) signale que les émissions mondiales de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic d’ici trois ans pour que puisse être respecté l’objectif de réchauffement de 1,5° C au-dessus des niveaux préindustriels fixé par l’accord de Paris ; dès lors qu’elles entravent les politiques actives de lutte contre le changement climatique, les tactiques des populistes contemporains deviennent une menace existentielle.
Cette tendance est réversible, mais elle est tenace. Après que le précédent président des États-Unis, Donald Trump, a désavoué les engagements de l’Amérique pour le climat, l’administration Biden est parvenue à faire voter, en dépit d’une opposition résolue, une législation climatique qui fera date. Mais les esprits forts qui remettent en cause la question climatique n’en conservent pas moins de nombreuses occasions de nuire. Une enquête récente, publiée dans Nature, montre qu’une vaste majorité de l’opinion américaine soutient les mesures de lutte contre le changement climatique, mais que la plupart des sondés pensent que ces politiques n’ont l’appui que d’une minorité. Cette « fausse réalité sociale » promet de faire de la question climatique une pomme de discorde lors des élections de mi-mandat, en septembre.
Le cas du Brésil est peut-être plus emblématique encore, car le populisme réactionnaire menace d’y devenir la norme sous l’égide du président Jair Bolsonaro. Ce n’est pas un hasard que Steeve Bannon, ancien conseiller principal de Trump pour la stratégie, considère l’élection brésilienne comme un point d’inflexion pour le système international, « le scrutin le plus important au monde [après celui des États-Unis] », selon ses propres termes. Une rhétorique inspirée de celle de Bannon s’est beaucoup répandue ces dernières années dans de nombreux pays, empoisonnant le débat public sur l’immigration, les droits reproductifs et les vaccins, notamment.
Les dirigeants autoritaires sortants ou aspirant au pouvoir ont de nombreuses raisons de s’en prendre aux politiques de lutte contre le changement climatique, mais aucune de ces raisons n’est à proprement parler liée au climat. La première raison avancée tient au coût perçu de ces politiques. Même si l’on sait que la décarbonation et la construction d’une économie plus résiliente coûteront pour finir beaucoup moins cher que la facture d’une crise climatique hors de contrôle, les dépenses liées à ces politiques offriront toujours une bonne cible aux opportunistes et à leur mauvaise foi.
En outre, les populistes vont chercher à dénigrer les politiques mises en œuvre par les accords internationaux comme l’accord de Paris sur le climat, conclu en 2015, au prétexte qu’ils constituent un abandon de souveraineté. Que Nigel Farage, qui fut l’architecte du Brexit, agite désormais la menace d’un référendum sur la neutralité carbone à laquelle s’est formellement engagé le Royaume-Uni ne devrait surprendre personne.
C’est une même conception simpliste de la souveraineté nationale qui sous-tend le refus opposé par Bolsonaro à tout débat concernant l’Amazone dans les forums internationaux, alors même que le bassin du fleuve et sa forêt jouent le rôle d’un puits de carbone vital pour le reste du monde. C’est l’incapacité de Bolsonaro à combattre les activités criminelles en Amazonie qui permet la destruction gratuite de forêts, de rivières et de populations brésiliennes – notamment de groupes indigènes – et l’assassinat de défenseurs de l’environnement et de journalistes. Il considère, comme les autres populistes d’extrême droite, que l’exercice de la souveraineté consiste à revendiquer des droits tout en refusant d’endosser les responsabilités qui les accompagnent.
BLACK FRIDAY SALE: Subscribe for as little as $34.99
Subscribe now to gain access to insights and analyses from the world’s leading thinkers – starting at just $34.99 for your first year.
Subscribe Now
Soit cynisme, soit naïveté, les populistes refusent d’admettre que le renforcement des frontières nationales ne peut résoudre nos plus graves problèmes. C’est vrai du changement climatique et de la perte de la diversité du vivant comme c’est vrai, cette année, des crises énergétique et alimentaire, du Covid-19 et des souffrances croissantes causées par l’endettement. L’action politique en faveur du climat et le populisme réactionnaire pourraient ainsi constituer pendant des décennies un nœud inextricable, sur fond de perturbations climatiques, de creusement des inégalités et d’entailles de toutes parts et partout au contrat social.
Selon une étude récente menée dans 25 pays durant plus de dix ans, les partis populistes d’extrême droite ont eu un impact invariablement négatif sur l’ambition climatique, qui renforce encore la difficulté d’atteindre les objectifs fixés. Hôte du Sommet de la Terre en 1992, le Brésil avait autrefois la réputation d’un important bâtisseur de consensus dans les négociations multilatérales ; pourtant, en l’espace de quelques années, il en est venu à être associé à l’instabilité diplomatique et à la destruction de l’environnement.
Si nous voulons contrôler les effets de plus en plus destructeurs du changement climatique, l’intelligence collective doit prévaloir sur la division et la désinformation populistes. Certains pays montrent déjà la voie. Ainsi les électeurs australiens ont-ils mis un terme au gouvernement conservateur qui était devenu le plus obstiné des temporisateurs du G20. Et les électeurs slovènes ont refusé un second mandat au Premier ministre populiste en défaisant son parti dans les urnes et en accordant la majorité au parti écologiste Mouvement Liberté.
Le même message pourrait-il se faire entendre au Brésil ? Un sondage récent montre que 81 % des Brésiliens souhaitent que les candidats à la fonction présidentielle protègent l’Amazonie, et 65 % d’entre eux considèrent que cette protection est importante pour le développement économique. Plus de 90 % savent que des changements climatiques ont actuellement lieu et 75 % les attribuent à l’activité humaine.
Comme dans beaucoup d’autres pays du monde, les mouvements sociaux s’organisent au Brésil à une échelle qui est sans précédent. Des groupes venant d’Amazonie – représentant plus particulièrement des communautés traditionnelles, des femmes et des jeunes – mènent la charge, et d’autres, notamment des acteurs des secteurs privé et financier, les ont rejoints.
Bolsonaro, pendant ce temps, demeure hostile à toute ambition climatique ; à l’entendre, les inquiétudes environnementales ne seraient qu’une sinistre invention d’intérêts internationaux occultes. Le paradoxe est, bien sûr, que les populistes « antimondialistes » d’aujourd’hui s’appuient sur leurs réseaux transnationaux bien fiancés de propagandistes, de donateurs et de commis voyageurs. Comme le montre un récent reportage du New York Times, des entreprises hongroises du secteur de l’énergie ayant enregistré d’abondants profits grâce à la vente de pétrole russe ont fourni des sommes considérables à des associations caritatives qui partagent les intérêts politiques de la direction hongroise, d’où ces mêmes sommes ont ensuite alimenté des chaînes de radiotélévision et des leaders d’opinion conservateurs aux États-Unis.
Ce serait une catastrophe pour les sociétés ouvertes et les politiques actives de lutte contre le changement climatique que les priorités populistes parviennent à renverser les institutions internationales. Celles et ceux d’entre nous qui croient en la science, en la sagesse des communautés locales, qui croient au pouvoir de la diplomatie, ne doivent pas négliger la menace. Si le populisme devient la norme, il fera échouer les politiques actives de lutte contre le changement climatique au moment même où elles sont le plus nécessaires. La fenêtre d’intervention pour éviter des conséquences catastrophiques se referme. Les politiques climatiques sont devenues la cible privilégiée de populistes dont nous devons, nous autres, devenir les adversaires les plus déterminés.
Traduit de l’anglais par François Boisivon