Le Programme de la vie

Plein de vie, nous avons tendance à croire que la vie est facile à comprendre. Dans la classification reçue des sciences, les mathématiques sont considérées comme la science reine par excellence, la plus difficile à comprendre, suivies par la physique, la chimie et enfin la biologie. Toutefois, la hiérarchie scientifique est fausse et trompeuse : Nous savons aujourd’hui que la biologie contient plus de mathématiques qu’on ne l’avait cru.

Quand les molécules sont entrées dans la connaissance scientifique de la vie avec la découverte de l’ADN, la biologie a monté d’un cran dans l’échelle des valeurs pour rejoindre la chimie. Puis, avec la reconnaissance des schémas abstraits dictant l’expression de la génétique, la biologie s’est encore rapprochée des mathématiques.

Le terme branché à la mode d’aujourd’hui dans l’étude de la vie est la biologie des « systèmes ». Pendant longtemps, ceux qui étudiaient la nature de la vie et de l’hérédité se divisaient en deux camps : l’ épigénétique , qui met l’accent sur les influences de l’environnement sur les organismes vivants et le préformisme qui met l’accent sur les similarités entre les parents et les descendants. La perspective épigénétique était visiblement erronée parce que quelque chose de stable devait être transmis à travers les générations. Toutefois, la perspective préformiste selon laquelle l’entité transmise à travers les générations était l’organisme au complet fut contredite par l’impossibilité de segmenter les objets à l’infini.

Ce qui devait être transmis ne pouvait être l’organisme final mais seulement la recette de fabrication de cet organisme. Examinons un instant la question métaphysique classique suivante : un bateau en bois dont toutes les planches ont été remplacées progressivement au fur et à mesure de leur pourrissement reste-t-il le même une fois que toutes les planches ont été remplacées ? La biologie des « systèmes » reconnaît que la conception du bateau est ce qui reste identique : ce qui détermine les relations entre les planches.

Cette réflexion a ouvert la voie au concept de « programme génétique », semblable à un programme informatique : une métaphore qui devint quasi évidente quand la structure de l’ADN fut découverte parce que l’ADN peut être visualisée comme une chaîne linéaire de symboles, ce qui est exactement ce que les ordinateurs lisent dans un programme. Comme un programme informatique, l’ADN ne préserve pas l’état final de ce qu’il code, mais inscrit plutôt de manière symbolique mais concrète (c’est un véritable « texte ») les relations entre les objets et les agents qu’il spécifie et contrôle.

Une observation remarquable soutient cette analogie : les virus se comportent comme de petits programmes individuels, utilisant la cellule comme la machine nécessaire à leur multiplication et subséquemment à leur propagation (souvent accompagnée de la destruction de la machine). Quand la programmation informatique se développa, on remarqua que certains petits programmes se comportaient de la même manière, aussi les appela-t-on des « virus ». Aussi, quand il est devenu possible de manipuler l’ADN in vitro, la métaphore du « programme génétique » se fit encore plus précise : Les chercheurs ont pu construire des expériences qui correspondaient à la reprogrammation des cellules en oeuvrant tout simplement sur des symboles de silicone.

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La métaphore provient d’un célèbre mathématicien et chercheur informatique, Alan Turing, qui, avec John von Neumann et d’autres théoriciens, découvrit le lien entre les mathématiques des nombres entiers et la logique. Turing postula que toutes les opérations informatiques et logiques pouvaient être résolues par une simple machine, qu’il appela la machine de Turing universelle, capable de lire et de modifier une séquence linéaire de symboles. Cela ne requiert que la séparation physique des symboles (visualisés comme une bande) gérés par la machine et la machine elle-même. En outre, la bande transporte les données qui permettent à la machine de fonctionner. Ainsi, les données peuvent être divisées en deux types : un programme qui porte le « sens » de la séquence logique reconnue par la machine et les données pures qui fournissent le contexte nécessaire au fonctionnement du programme.

La génétique repose sur la manipulation des molécules d’ADN (réelles ou artificielles) pour reprogrammer les cellules étrangères. Il en résulte que de nombreuses bactéries produisent aujourd’hui des protéines humaines. Pourtant, cela ne représente qu’une petite partie du programme génétique. Le transfert de gènes entre organismes est très répandu. Le clonage nucléaire, illustré par la brebis Dolly, a fait de la machine de Turing universelle un modèle hautement révélateur de la cellule, si ce n’est le modèle capable de tout expliquer.

Si l’on prend cette métaphore d’un point de vue littéral, on en tire une conséquence surprenante. Il a été démontré que le produit de certains programmes informatiques est tout à la fois déterministe, innovant et imprévisible. La métaphore informatique implique de ce fait que les organismes vivants sont des systèmes matériels qui, face à un avenir incertain, parviennent aux solutions improbables de sorte que leur descendance puisse survivre dans des conditions imprévisibles. La vie est par nature créatrice.

Cependant, la métaphore est limité par un simple fait : Les ordinateurs ne fabriquent pas d’ordinateurs. Le challenge pour la biologie moderne est de comprendre comment ils le pourraient.

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