PARIS – Pendant presque trois décennies où les changements climatiques sont devenus la préoccupation du monde entier, les pouvoirs publics ont souscrit à l’hypothèse optimiste qu’une transition écologique finirait par arriver avec le temps, à mesure que la hausse des cours des combustibles fossiles inciterait les consommateurs à se convertir à d’autres sources d’énergie à faible intensité en carbone. Plusieurs estimaient que c’était la production qui faisait obstacle, car les rendements juteux des investissements dans l’exploitation des champs pétroliers aiguillonnaient l’appétit pour des projets d’exploration encore plus ambitieux.
Nous assistons aujourd’hui à un revirement de situation. Avec le prix du baril de pétrole englué autour de 40 $, les sociétés d’exploitation des combustibles fossiles n’ont pas besoin de se faire convaincre par les pouvoirs publics d’arrêter d’investir. Le paramètre important dans l’équation est maintenant du côté du consommateur. Or, avec des coûts de combustibles si bas, que peut-on faire pour modifier les habitudes de consommation ?
Il est certain que les indicateurs pointent vers le rôle qu’un coût énergétique moindre pourrait jouer dans la relance des cours pétroliers. Mais personne ne prédit une reprise assez forte pour provoquer la transformation radicale nécessaire pour réaliser les objectifs de réduction des émissions des pays.
Un rapport de l’OCDE publié en 2015 décrit l’étendue du retard des pays sur leurs cibles d’émissions — sans tenir compte de leur engagement de limiter la hausse maximale de la température moyenne du globe en dessous de 2 °C. Au même moment, les grandes pétrolières ne manquent pas une occasion de nous rappeler qu’il faudra brûler des combustibles fossiles pendant longtemps encore dans la transition graduelle vers la nouvelle économie de l’énergie verte.
Que devraient faire les États ? Presque tous s’entendent sur le fait que personne n’a avantage à ce que le réchauffement mette en péril la planète. Mais chaque pays a ses propres intérêts, selon qu’il exporte ou importe du pétrole et le degré de développement de son économie.
Les pays en développement qui sont producteurs de pétrole doivent évaluer si leurs ressources contribueront à leur économie dans le futur, étant donné les restrictions grandissantes sur les émissions. Les pays comme l’Arabie saoudite, l’Iraq et l’Iran — où le pétrole abonde et est facile à extraire à un coût très bas — risquent de rester dans ce secteur pour longtemps encore. Dans l’éventualité où le monde réduirait rapidement son intensité en carbone, la consommation de pétrole sera encore assez élevée pour justifier l’extraction rentable de leurs ressources.
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Mais les pays nantis en ressources pétrolières moins accessibles sont obligés d’instaurer des réformes économiques et d’éliminer les subventions. L’Arabie saoudite a envoyé un signal clair comme quoi elle n’était plus disposée à sacrifier sa part du marché pour renflouer les pays producteurs dont la structure de coût est plus élevée. Sa décision de maintenir la production à son niveau actuel — rendant en fait inopérant le cartel de l’OPEC — a déjà eu un effet modérateur sur l’offre des pays concurrents ; près de 400 milliards $ de projets d’investissement dans l’exploitation de combustibles fossiles ont été reportés.
Beaucoup d’États ont dû agir. La Russie a annoncé une ponction de 10 % dans les dépenses publiques devant le fléchissement continu des cours pétroliers au cours de cette année. Et l’Indonésie devrait économiser presque 14 milliards $ en abolissant les subventions à la consommation d’essence et en plafonnant l’aide à la consommation de diesel.
À l’opposé du spectre, les pays développés importateurs de pétrole sont déjà susceptibles d’utiliser efficacement les combustibles fossiles. Leurs économies viennent de prouver qu’elles peuvent fonctionner avec du pétrole à 100 $ le baril, elles n’ont donc évidemment pas besoin d’une infusion d’énergie bon marché pour prospérer. Ce serait donc le bon moment pour lancer une taxe sur le carbone, de sorte que l’avantage fortuit du pétrole à bon marché ne soit pas engouffré à la pompe à essence. Ces pays devraient mettre au rancart la moindre illusion de trouver de l’« or noir », puis profiter des avantages à court terme du pétrole à bon marché pour prendre des mesures immédiates d’harmoniser les investissements dans les infrastructures à l’évolution des technologies.
Parallèlement, les pays développés producteurs de pétrole devraient engranger le reliquat des rentes pour favoriser le remplacement du capital et assurer que la vie économique continue après le pétrole. C’est ce qu’a fait la Norvège, améliorant sensiblement la situation du pays, au cours des 25 dernières années.
Finalement, ce sont les pays en développement importateurs de pétrole qui ont sans doute les besoins les plus urgents en énergie — et qui ont également le plus large éventail de possibilités pour les combler. Ils devront demander l’appui de la communauté internationale et évaluer de près les solutions énergétiques offertes pour qu’elles soient modernes ou durables. Le fardeau de la preuve doit reposer sur les énergies tirées des combustibles fossiles, particulièrement le charbon, car il faut démontrer qu’elles sont concurrentielles aux énergies renouvelables lorsque sont pris en compte tous les coûts relatifs à l’environnement, à la santé et à la société.
Il semble que ce n’est jamais le bon moment d’agir contre les changements climatiques. En contexte de forte croissance, les gens font pression sur les gouvernements pour que rien ne change. (Peu importe que les preuves soient minces pour soutenir que l’instauration progressive d’une taxe sur le carbone freine la croissance.) Lorsque la croissance est faible, ils n’arrivent pas à croire que les défenseurs des politiques d’atténuation climatique puissent envisager d’empirer la situation déjà précaire.
Il n’y aura jamais de moment parfait pour lancer de nouvelles politiques climatiques. Pour régler des problèmes à long terme, il faut recourir à des signaux à long terme. Et ces politiques ne peuvent pas être constamment changées selon l’humeur du moment, car ce serait créer de nouveaux aléas (ce qui affecte réellement la croissance). Le moment présent est donc aussi propice qu’un autre pour agir.
Et il ne faut pas non plus entretenir l’illusion que les résultats transformateurs devront être un processus graduel et sans heurts. Les progrès technologiques déclenchent des tempêtes de destruction créatrice. Il y aura — nécessairement — beaucoup de perdants. Mais il y aura aussi des gagnants, à mesure que de nouvelles technologies ouvrent de nouvelles perspectives. Les États qui essaient de protéger le statu quo non seulement échoueront sur le plan des changements climatiques ; mais ils imposeront ultimement des coûts sociaux plus élevés, même s’ils n’arrivent pas à tirer parti des débouchés créés par la réforme.
Les politiques d’atténuation des changements climatiques doivent être constantes et cohérentes. Les interventions doivent lubrifier les rouages du changement et non les bloquer à chaque occasion. Lorsque les investisseurs se rendront compte que l’ère des combustibles fossiles est révolue, les États devront laisser cours aux effets de la réaffectation des capitaux. Le parcours sera rude. Mais il n’y a pas d’autre choix. Tenter de dévier une trajectoire d’ajustement économique et technique serait aussi futile que d’essayer de fixer le cours du brut.
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At the end of a year of domestic and international upheaval, Project Syndicate commentators share their favorite books from the past 12 months. Covering a wide array of genres and disciplines, this year’s picks provide fresh perspectives on the defining challenges of our time and how to confront them.
ask Project Syndicate contributors to select the books that resonated with them the most over the past year.
PARIS – Pendant presque trois décennies où les changements climatiques sont devenus la préoccupation du monde entier, les pouvoirs publics ont souscrit à l’hypothèse optimiste qu’une transition écologique finirait par arriver avec le temps, à mesure que la hausse des cours des combustibles fossiles inciterait les consommateurs à se convertir à d’autres sources d’énergie à faible intensité en carbone. Plusieurs estimaient que c’était la production qui faisait obstacle, car les rendements juteux des investissements dans l’exploitation des champs pétroliers aiguillonnaient l’appétit pour des projets d’exploration encore plus ambitieux.
Nous assistons aujourd’hui à un revirement de situation. Avec le prix du baril de pétrole englué autour de 40 $, les sociétés d’exploitation des combustibles fossiles n’ont pas besoin de se faire convaincre par les pouvoirs publics d’arrêter d’investir. Le paramètre important dans l’équation est maintenant du côté du consommateur. Or, avec des coûts de combustibles si bas, que peut-on faire pour modifier les habitudes de consommation ?
Il est certain que les indicateurs pointent vers le rôle qu’un coût énergétique moindre pourrait jouer dans la relance des cours pétroliers. Mais personne ne prédit une reprise assez forte pour provoquer la transformation radicale nécessaire pour réaliser les objectifs de réduction des émissions des pays.
Un rapport de l’OCDE publié en 2015 décrit l’étendue du retard des pays sur leurs cibles d’émissions — sans tenir compte de leur engagement de limiter la hausse maximale de la température moyenne du globe en dessous de 2 °C. Au même moment, les grandes pétrolières ne manquent pas une occasion de nous rappeler qu’il faudra brûler des combustibles fossiles pendant longtemps encore dans la transition graduelle vers la nouvelle économie de l’énergie verte.
Que devraient faire les États ? Presque tous s’entendent sur le fait que personne n’a avantage à ce que le réchauffement mette en péril la planète. Mais chaque pays a ses propres intérêts, selon qu’il exporte ou importe du pétrole et le degré de développement de son économie.
Les pays en développement qui sont producteurs de pétrole doivent évaluer si leurs ressources contribueront à leur économie dans le futur, étant donné les restrictions grandissantes sur les émissions. Les pays comme l’Arabie saoudite, l’Iraq et l’Iran — où le pétrole abonde et est facile à extraire à un coût très bas — risquent de rester dans ce secteur pour longtemps encore. Dans l’éventualité où le monde réduirait rapidement son intensité en carbone, la consommation de pétrole sera encore assez élevée pour justifier l’extraction rentable de leurs ressources.
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À l’opposé du spectre, les pays développés importateurs de pétrole sont déjà susceptibles d’utiliser efficacement les combustibles fossiles. Leurs économies viennent de prouver qu’elles peuvent fonctionner avec du pétrole à 100 $ le baril, elles n’ont donc évidemment pas besoin d’une infusion d’énergie bon marché pour prospérer. Ce serait donc le bon moment pour lancer une taxe sur le carbone, de sorte que l’avantage fortuit du pétrole à bon marché ne soit pas engouffré à la pompe à essence. Ces pays devraient mettre au rancart la moindre illusion de trouver de l’« or noir », puis profiter des avantages à court terme du pétrole à bon marché pour prendre des mesures immédiates d’harmoniser les investissements dans les infrastructures à l’évolution des technologies.
Parallèlement, les pays développés producteurs de pétrole devraient engranger le reliquat des rentes pour favoriser le remplacement du capital et assurer que la vie économique continue après le pétrole. C’est ce qu’a fait la Norvège, améliorant sensiblement la situation du pays, au cours des 25 dernières années.
Finalement, ce sont les pays en développement importateurs de pétrole qui ont sans doute les besoins les plus urgents en énergie — et qui ont également le plus large éventail de possibilités pour les combler. Ils devront demander l’appui de la communauté internationale et évaluer de près les solutions énergétiques offertes pour qu’elles soient modernes ou durables. Le fardeau de la preuve doit reposer sur les énergies tirées des combustibles fossiles, particulièrement le charbon, car il faut démontrer qu’elles sont concurrentielles aux énergies renouvelables lorsque sont pris en compte tous les coûts relatifs à l’environnement, à la santé et à la société.
Il semble que ce n’est jamais le bon moment d’agir contre les changements climatiques. En contexte de forte croissance, les gens font pression sur les gouvernements pour que rien ne change. (Peu importe que les preuves soient minces pour soutenir que l’instauration progressive d’une taxe sur le carbone freine la croissance.) Lorsque la croissance est faible, ils n’arrivent pas à croire que les défenseurs des politiques d’atténuation climatique puissent envisager d’empirer la situation déjà précaire.
Il n’y aura jamais de moment parfait pour lancer de nouvelles politiques climatiques. Pour régler des problèmes à long terme, il faut recourir à des signaux à long terme. Et ces politiques ne peuvent pas être constamment changées selon l’humeur du moment, car ce serait créer de nouveaux aléas (ce qui affecte réellement la croissance). Le moment présent est donc aussi propice qu’un autre pour agir.
Et il ne faut pas non plus entretenir l’illusion que les résultats transformateurs devront être un processus graduel et sans heurts. Les progrès technologiques déclenchent des tempêtes de destruction créatrice. Il y aura — nécessairement — beaucoup de perdants. Mais il y aura aussi des gagnants, à mesure que de nouvelles technologies ouvrent de nouvelles perspectives. Les États qui essaient de protéger le statu quo non seulement échoueront sur le plan des changements climatiques ; mais ils imposeront ultimement des coûts sociaux plus élevés, même s’ils n’arrivent pas à tirer parti des débouchés créés par la réforme.
Les politiques d’atténuation des changements climatiques doivent être constantes et cohérentes. Les interventions doivent lubrifier les rouages du changement et non les bloquer à chaque occasion. Lorsque les investisseurs se rendront compte que l’ère des combustibles fossiles est révolue, les États devront laisser cours aux effets de la réaffectation des capitaux. Le parcours sera rude. Mais il n’y a pas d’autre choix. Tenter de dévier une trajectoire d’ajustement économique et technique serait aussi futile que d’essayer de fixer le cours du brut.
Traduit de l’anglais par Pierre Castegnier